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autant que l’homme politique, étaient venues le frapper, on l’a vu, au milieu des cruels mécomptes que lui causait la question allemande. Dans une des lettres qu’il recevait de Windsor au sujet de la reine des Belges, on voit le prince Albert, ordinairement si mesuré, écrire ces vives paroles : « Il me répugne autant qu’à vous-même de parler des politiques allemands. La bassesse ou l’incapacité sans limites de ceux qui tiennent les rênes du gouvernement est chose trop irritante… » Ce n’est pas le prince anglais qui s’est exprimé de la sorte, c’est le fils toujours ardent de sa première patrie. Le mari de la reine Victoria était resté fidèle à la grande passion de l’Allemagne. Comme Stockmar, comme Bunsen, comme l’immense majorité des Allemands, il gardait obstinément le souvenir des désastres de 1806 et des fureurs de 1813. Il voulait l’unité des peuples germaniques, et il la voulait par la Prusse. Or, si telle était au mois d’octobre 1850 l’irritation d’un esprit aussi sage que le prince Albert, on peut se représenter aisément quelles étaient les amertumes de Stockmar. Ces mois d’octobre et de novembre 1850 sont précisément l’époque des grandes humiliations de la Prusse.

La lutte de l’Autriche et de la Prusse, ou plutôt l’ardente campagne du ministre autrichien, le prince Félix de Schwarzenberg, contre le mystique rêveur de Berlin appelé Frédéric-Guillaume IV, en était arrivée au point qui précède la crise suprême. Stockmar nous disait tout à l’heure que les difficultés germaniques n’ayant plus de solution possible ne seraient dénouées que par la guerre. Mais où donc la guerre peut-elle éclater ? Cette idée seule fait horreur au roi de Prusse ; jamais Frédéric-Guillaume IV ne marchera contre le représentant du saint-empire, il se croirait un rebelle et un impie. Aussi rien de plus net : la Prusse cédant toujours, l’Autriche avance toujours.

Une heure vient pourtant où Frédéric-Guillaume IV essaie de se dégager de ses scrupules. Si le jeune souverain de l’Autriche, dans le système de Frédéric-Guillaume, doit représenter la majesté du saint-empire, Frédéric-Guillaume ne doit-il pas représenter la royauté allemande ? La royauté allemande, qui est tenue au respect envers le saint-empire, a aussi des devoirs envers elle-même. Le peuple de Hesse, opprimé par l’odieuse camarilla du prince-électeur, avait imploré la protection de la Prusse ; il s’agissait pour le roi allemand de défendre non pas des révolutionnaires, mais l’administration, la magistrature, l’armée, la bourgeoisie, la nation tout entière contre le despotisme d’un autre âge. L’Autriche saisit aussitôt l’occasion d’humilier la politique prussienne ; provocante, l’épée à la main, elle soutient la cause du prince de Hesse et défend à Frédéric-Guillaume IV toute intervention en sens contraire. Frédéric-Guillaume essaie de résister, il appelle au ministère des