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disait-il, je n’ai connu un homme dont la sincérité et la justice m’inspirassent plus de confiance, un homme chez qui j’aie vu un plus invariable désir d’augmenter le bien public. Dans mes communications avec lui, jamais je n’ai rencontré une occasion où il n’ait pas montré le plus rigoureux attachement à la vérité, jamais je n’ai eu la moindre raison de soupçonner qu’il décidait une chose sans être convaincu que c’était la vérité. » Culte du vrai, poursuite du juste, ces mots reviennent sans cesse dans la bouche de ceux qui parlent de Robert Peel, tant la supériorité morale répondait chez ce grand homme à la supériorité de l’intelligence.

Il avait demandé que ses funérailles se fissent de la façon la plus simple, voulant reposer à Drayton Bassett, dans le caveau de famille, à côté de son père et de sa mère. Le parlement, qui ne put décerner à son cercueil les honneurs de Westminster, résolut de lui élever au moins un monument national dans l’illustre abbaye.

Le plus grand de tous les hommages, celui qui l’aurait le plus touché, ce fut la profonde affliction du peuple. Là, point de passions en jeu, point de manifestations intéressées, point de calculs, point de mensonges, comme cela se voit trop souvent en des circonstances analogues ; c’était une douleur silencieuse et morne. Depuis le jour où on l’avait rapporté brisé dans sa demeure jusqu’à l’heure où l’âme s’envola, la foule ne cessait d’assiéger l’hôtel de l’illustre malade, et de temps en temps, à mesure qu’elle s’écoulait, un constable lisait d’une voix grave le dernier bulletin des docteurs[1]. Le jour des obsèques, la reine Victoria écrivait au roi Léopold : « C’est aujourd’hui qu’a lieu l’enterrement de Peel. L’affliction que cause sa mort est touchante au plus haut degré ; le pays pleure sur lui comme sur un père ; chacun semble avoir perdu un ami personnel. » Ce qu’il y a de plus touchant ici, la reine ne pouvait le dire, c’était cette union intime de la reine et du peuple. Lorsque Louis XVI, après deux ans de règne, fut obligé par les privilégiés de la cour de congédier Turgot, le pauvre jeune roi lui disait avec émotion : « Il n’y a que vous et moi qui aimions le peuple. » Dans l’Angleterre du XIXe siècle, la royauté constitutionnelle, malgré les clameurs furieuses des hauts tories, avait soutenu le réformateur, et, lorsque sir Robert disparut, la reine dit comme le peuple : Nous avons perdu un père.

  1. Un savant écrivain, en racontant ces détails, se rappelle des traits analogues admirablement consacrés par Tacite à propos de la mort d’Agricola, son beau-père : « Finis vitæ ejus nobis luctuosus, amicis tristis, extraneis etiam ignotisque non sine cura fuit. Vulgus quoque, et hic aliudagens populus, et ventitavere ad domum, et per fora et circulos locuti sunt ; nec quisquam, audita morte Agricolæ, aut læatus est, aut statim oblitus. » Vita Agricolœ, XLIII. — Voyez Théodore Martin, Life of the prince consort, t. II, p. 292.