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était chez lui si forte et si tenace qu’il l’exprima en toute occasion pendant ces trois années de crise, de 1848 à 1851. Dans une lettre, datée du 20 avril 1849, il écrivait cette page, résumé lumineux de l’histoire d’Allemagne avant et après la bataille d’Austerlitz :


« Même avant la mort de l’empire d’Allemagne, la politique particulière de l’Autriche était, à mon avis, la cause de notre décadence. Jamais l’Autriche n’a gouverné l’Allemagne dans l’intérêt de l’Allemagne ; elle l’a constamment gouvernée pour des vues autrichiennes, pour les vues d’une dynastie qui cherchait à acquérir et acquit en effet dans l’Europe orientale, par la force de l’Allemagne, la puissance qu’elle ne pouvait acquérir par sa propre force sur le terrain germanique. Mais un si grand peuple ne se laisse pas toujours exploiter de la sorte. De là l’effondrement successif de la puissance autrichienne en Allemagne et, par suite, l’effondrement de l’empire d’Allemagne lui-même. Napoléon, au moyen de l’organisation territoriale sur laquelle il fonda sa confédération du Rhin, opéra plus complètement que jamais le déchirement de l’empire. En faisant de l’Allemagne trois parties séparées, l’Allemagne prussienne, l’Allemagne autrichienne et l’Allemagne de la confédération, il la polonisa formellement. Après la chute de Napoléon, sa politique fut remplacée en Allemagne par la politique autrichienne de Metternich. Cette politique, reprenant ses procédés d’autrefois, ne cherchait en Allemagne qu’un moyen de travailler à étendre sa domination ; elle finit nécessairement par viser à une suprématie complète. L’adversaire naturel de cette suprématie était la Prusse, qui, après la conclusion de la paix, était plus forte que l’Autriche en élémens germaniques. Plus Metternich réussissait à maintenir les arrangemens territoriaux de l’ancienne confédération du Rhin, et plus elle avait d’alliés contre la Prusse ; plus aussi il lui était facile, 1o de prendre à l’égard des princes de la confédération du Rhin la place occupée jadis par Napoléon ; 2o de neutraliser l’influence prussienne dans le reste de l’Allemagne. C’est ainsi qu’on vit le protectorat de la confédération du Rhin passer de Napoléon à Metternich. Et Metternich posséda encore plus de puissance en Allemagne que n’en avait possédé Napoléon, grâce à l’habileté qu’il eut de déterminer deux rois de Prusse à se laisser traîner pendant trente-trois ans à la remorque de la politique autrichienne. Sans doute, Metternich n’employa point cette suprématie, comme Napoléon, à des entreprises extérieures, à des guerres de conquêtes, mais il s’en servit pour des guerres morales contre l’influence de la Prusse, contre la révolution et sa propagande, contre le régime constitutionnel et la religion protestante, en faveur du jésuitisme et de l’absolutisme. Cette politique, aussi funeste que la politique de l’ancienne Autriche, devait forcément produire les mêmes résultats : la confusion d’abord, ensuite le bouleversement des affaires allemandes. L’inondation démocratique qui nous submergea au