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l’Allemagne. C’était l’inspiration des poètes, des publicistes, des philosophes, hommes du nord ou hommes du sud, qui entraînaient au combat tous les défenseurs de la patrie, les rois comme les peuples. Kœrner et Fichte, Maurice Arndt et Gœrres, jetaient les mêmes appels à tous, sans faire une place à part ni à l’Autriche ni à la Prusse. Edgar Quinet a rendu très fidèlement cette physionomie des choses en son poème de Napoléon, lorsque, résumant dans une vive image le long travail de 1813, il fait entendre ce murmure confus d’abord, ces voix qui s’appellent dans l’ombre, ces chœurs dispersés qui s’unissent, puis la clameur immense, formidable, la clameur unanime :

Saxons, Westphaliens, Souabes, Bavarois,
Électeurs palatins, grands-ducs, comtes et rois,
Nous n’avons tous qu’un nom : Allemagne ! Allemagne !
Et notre père à tous s’appelait Charlemagne.


Seulement, comme il n’y avait d’autre Charlemagne alors que le vainqueur d’Austerlitz, on ne se demandait pas encore quel serait le chef commun des Westphaliens et des Saxons, des Bavarois et des Souabes, l’empereur de tous ces comtes et de tous ces rois. Il s’agissait de s’unir et de vaincre ; l’organisation de l’unité viendrait après la victoire.

Elle ne vint qu’à demi, ou plutôt on n’en vit que le simulacre. Grâce à la circonspection du congrès de Vienne, toutes les difficultés que présentait cette grosse affaire se trouvèrent écartées pour longtemps. L’organe de l’unité, d’après les décisions du congrès, fut la confédération germanique. On connaît les principales dispositions de ce système : tous les états allemands, grands et petits, représentés par des plénipotentiaires ; — ces délégués de l’Autriche, de la Prusse, de la Saxe, de la Bavière, du Hanovre, du Wurtemberg, des duchés, des principautés, des villes libres, chargés de se concerter pour le règlement des affaires communes ; — ce congrès installé sous le nom de diète dans la ville où avait lieu autrefois le couronnement des empereurs ; — chacun des états ayant une voix ou plusieurs voix, ou des fractions de voix, suivant son importance ; — enfin la présidence de la diète attribuée au représentant de l’empereur d’Autriche. Il y avait bien là une apparence d’unité ; en fait, c’était la consécration de ce que Saint-Marc Girardin, dans ses Notices sur l’Allemagne, a spirituellement appelé le mal de la petitesse et de la dislocation. Stockmar fait remarquer ici, et la remarque est très piquante, que ce système différait assez peu de celui que les conquêtes de Napoléon avaient imposé à l’Allemagne. Napoléon avait coupé l’Allemagne en trois morceaux ; en face de l’Autriche et de la Prusse, que tant de rivalités divisaient, il avait