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courtisanerie, sans sa légèreté, sans son ignorance du monde et des hommes, Louis-Philippe serait mort sur le trône, et son petit-fils serait roi. »


III

D’où vient qu’un esprit plus mesuré d’ordinaire se laissait entraîner à de telles paroles évidemment excessives et injustes ? Blâmer la politique de M. Guizot, à la bonne heure ; mais accuser sa légèreté, son ignorance du monde et des hommes ! Si ce n’était pas là un jugement précipité, on ne saurait dire que ce fût une sentence tout à fait désintéressée. Stockmar ne pensait pas seulement aux affaires de France, il nous le dit lui-même sans détour : la catastrophe du 24 février 1848 était une catastrophe européenne. Tous les pays qu’il aimait, l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique, pouvaient être plus ou moins troublés par l’ébranlement général, tous les foyers royaux dont il était le serviteur intime, de Cobourg à Bruxelles et de Bruxelles à Londres, en recevaient déjà les atteintes. C’est comme victime de 1848 que Stockmar, au nom de l’Europe libérale, maudissant la victoire du parti démagogique, maudissait aussi le personnage illustre auquel en incombait, à son avis, la responsabilité la plus haute.

Victime de 1848, ai-je dit ? oui, c’est le mot juste, et non-seulement victime par la sympathie que lui inspirent les inquiétudes de ses maîtres, mais victime directement, personnellement, par l’humiliation de la cause qu’il soutenait en Allemagne de tous ses vœux et de tous ses efforts. Voici, en effet, le conseiller de la reine Victoria engagé pour plusieurs années dans les luttes que soulève la question de l’unité germanique. Au moment où il trace les lignes cruelles que nous citions tout à l’heure (3 janvier 1852), la cause qu’il défend est perdue, elle a été perdue surtout, c’est sa conviction, par suite des désordres dont le 24 février a donné le signal dans une moitié de l’Europe. Quelles étaient les espérances de Stockmar au sujet de la rénovation de l’Allemagne ? à quel système s’était-il attache ? Il voulait l’unité germanique par la Prusse, il voulait un empire germanique d’où l’Autriche fût exclue, il croyait fermement que tel était le but indiqué à ses compatriotes, le but nécessaire, le but prochain, et les révolutions de 1848 ayant ramené les peuples vers les abris dont toute société a besoin, l’Autriche avait profité de ce mouvement pour reprendre sa vieille autorité en Allemagne. Dès le mois de décembre 1850, le Bismarck autrichien qui a précédé l’autre, qui l’a provoqué peut-être, et à vingt années de distance lui a servi de modèle, le prince Félix de Schwarzenberg, avait fait reculer le roi Frédéric-Guillaume IV et consommé