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des députés de Prusse, une visite qu’il avait reçue de celui-ci à Rome. Politesse pour politesse, réception pour réception. Évidemment, toutefois, il y a eu quelque mise en scène dans cette visite à Berlin, et dans ces entrevues plus ou moins mystérieuses avec M. de Bismarck. Tout n’a pas été correct, et, à vrai dire, M. Crispi n’a pas absolument évité un léger ridicule avec ses déclarations, en langue française, aux Allemands et ses télégrammes solennels à l’empereur Guillaume. Il a paru se griser légèrement de son importance, et on lui a peut-être fait aussi un rôle qui n’était pas dans son intention. Bref, on a visiblement tenu à donner une représentation de la « solidarité » de l’Italie et de l’Allemagne, — le tout à l’adresse de la France. Les circonstances ont donné une saveur particulière à la représentation, et M. de Bismarck, sans paraître à la fête, n’a pas été fâché qu’on fit un peu de bruit.

Est-ce à dire que le voyage de M. Crispi cache une « mission, » une mission définie, diplomatique, et que l’Italie, sous la figure du président de sa chambre des députés, soit allée chercher à Berlin une alliance avec l’Allemagne ? A quel propos ? Sur quoi se fonderaient des démarches si étranges et si précipitées ? Ce serait vraiment montrer bien peu de fermeté d’esprit que de s’effrayer outre mesure de ce mirage de cléricalisme, qui est un danger pour nous bien plus que pour d’autres. Le gouvernement italien a des gages plus positifs des dispositions réelles, des vues invariables de la France. Mieux que personne, il sait que depuis sept ans il n’a pas trouvé un seul sentiment d’hostilité dans la politique régulière de notre pays, que M. le ministre des affaires étrangères n’a rien négligé pour témoigner dans toutes les circonstances au cabinet de Rome une sérieuse cordialité. Que l’Italie, qui malgré tout, malgré les nuages que des passions intéressées se plaisent à amasser, n’a certes rien à craindre de la France, tienne aussi à garder les meilleurs rapports avec l’Allemagne, rien de mieux, c’est son vrai rôle, c’est la condition de son indépendance ; mais ce serait étrangement comprendre cette indépendance que d’avoir l’air de la défendre contre ceux qui ne la menacent pas et de la mettre sous la protection d’autres prépotences étrangères. Les Italiens ont un bon sens trop fin pour ne pas voir où les conduiraient des combinaisons que rien ne justifie, pour ne pas démêler ce qu’il y a de factice dans certaines fantasmagories de nos partis. Ils sont trop politiques pour ne pas comprendre que leur meilleure garantie est dans les sentimens libéraux de la France et que, par des démarches dont la France pourrait s’émouvoir, ils ne feraient que blesser ces sentimens eux-mêmes. Que l’Italie reste indépendante « de tous et de chacun, » comme dit M. Crispi, on ne lui demande rien de plus ; on ne lui demande que de suivre ses traditions, ses intérêts, de voir parmi nous la France, non les partis, et de ne pas prendre des mirages ou de vaines frayeurs pour une politique sérieuse. Ce n’est vraiment pas le moment de se livrer aux fantaisies dans une