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livrée aux dérisions et aux défiances de l’étranger. Oui, c’est tout cela et bien autres choses encore, à ce que M. Gambetta nous assure dans son dernier discours prononcé au cirque américain du Château-d’Eau : « Ce qui se joue dans la partie actuellement engagée, c’est à la fois l’existence du suffrage universel et l’avenir même de la révolution française et des principes qu’elle a promulgués pour le monde. Voilà toute la question ! » Mon Dieu, oui, ce n’est que cela. Si les 363 ne reviennent pas en masse, la révolution française est abrogée, et l’ancien régime renaît de ses cendres ! Le suffrage universel est supprimé, la guerre va être déchaînée : la France est perdue ! « voilà toute la question, » on nous l’assure dans les mêmes termes des extrémités les plus opposées, de sorte que nous sommes prévenus, nous n’avons pas le choix : le pays est perdu s’il vote pour les 363, selon les uns, — s’il vote pour le gouvernement, selon les autres, de toute façon, nous voici placés dans une étrange alternative.

Non heureusement, en aucun cas, d’aucune manière, la France n’est perdue. Elle a déjà voté, elle s’est prononcée, et ce qu’elle aura décidé ne peut avoir de ces conséquences extrêmes. La France n’en est pas à ressembler à un de ces navires qui s’égarent en pleine mer et qui tout à coup disparaissent corps et biens dans la tempête, sans qu’on sache ce qu’ils sont devenus. Elle a déjà passé par bien des épreuves et elle en est sortie, nous ne dirons pas toujours intacte, mais vivante et prête à reprendre son œuvre. La crise qu’elle traverse aujourd’hui est sans doute grave de toute façon, par toutes les circonstances intérieures et extérieures où elle s’est produite, et le gouvernement, qui en a la première responsabilité, a mis vraiment un zèle malheureux ou un étrange aveuglement à la compliquer, à l’envenimer, en préparant ce qu’on peut appeler les difficultés du lendemain ; mais enfin au milieu de tous ces conflits, de ces prétentions et de ces déclamations de partis se disputant une victoire peut-être embarrassante pour ceux qui l’auront, il reste celui dont on dispose, qu’on menace si légèrement de ruine s’il prend la liberté de voter comme il l’entend. Il reste le pays, qui, depuis cinq mois, par son calme, par sa patience, par son attitude au milieu de toutes les excitations, a certainement montré d’avance qu’il ne veut être avec les agitateurs d’aucune couleur. Il y a cette masse française, laborieuse et sensée, à laquelle M. Gladstone rendait tout récemment hommage en posant la première pierre de l’université de Nottingham, et dont il disait : « Nous savons assisté chez ce peuple au spectacle merveilleux d’un développement réel de sagesse politique depuis 1870. Le calme, la modération, la fermeté dans ses desseins, le respect de la loi et un profond attachement au gouvernement ayant pour base la liberté, telles sont les qualités qui se sont implantées tranquillement, mais d’une manière indélébile, dans le cœur de la nation. C’est du moins l’impression qu’a produite sur moi la conduite du peuple français. »