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probable que les Basques, quelle que fut du reste la couleur de leur drapeau, fussent plus heureux que don Carlos lui-même pour obtenir des chancelleries étrangères le titre de belligérans. La France même, dont plusieurs déjà escomptent l’appui, la France a appris à restreindre son ambition à la mesure de ses forces et de ses droits, elle se gardera bien de s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Espagne. Or que peut faire un petit pays de 800,000 habitans à peine contre les quarante-cinq autres provinces de la monarchie qui n’en comptent pas moins de 15 millions ? Fatalement, par la force du nombre, cette raison décisive des guerres modernes, celles-ci tôt ou tard ne peuvent manquer de l’emporter. Admettons pourtant cette fois encore que l’Espagne, de gré ou de force, mais toujours par impossible, les autorise à se séparer d’elle : quel usage feront les Basques de leur indépendance ? Le nombre et la commodité de leurs ports, l’inépuisable richesse minière de leur sol, tant de conditions favorables au commerce et à l’industrie, n’ont pas échappé à l’esprit pratique et calculateur de l’Angleterre. Déjà, car la loi n’interdit pas aux étrangers d’acheter chez eux du terrain, une bonne partie de leurs mines en exploitation est entre les mains des insulaires, et le nombre des fabriques anglaises s’y accroît chaque jour. Qu’ils réfléchissent au sort du Portugal, devenu aujourd’hui un simple entrepôt anglais, et par haine de l’influence espagnole tombé sous le protectorat absorbant de la grande puissance maritime. Se voient-ils, eux aussi, dépossédés de leurs domaines, réduits peu à peu au rôle de manœuvres et d’ouvriers, chercher et travailler au compte des industriels de Londres et de Liverpool ce fer dont ils étaient seuls jadis les maîtres libres et fiers ? Combien il vaut mieux, et dût-il d’abord leur en coûter quelque chose, consolider avec l’Espagne une union fondée non-seulement sur l’histoire, mais sur mille rapports de voisinage et d’habitude. Après tout, bon gré, mal gré, ils font partie de la péninsule, et les Espagnols sont encore leurs protecteurs et leurs alliés les plus naturels. D’ailleurs ces sacrifices dont on parle tant ne leur seront pas aussi pesans qu’il peut sembler au premier abord. À cause du peu d’étendue des provinces basques et de l’insuffisance du terrain cultivable, la population n’y peut dépasser certaines limites ; des milliers de jeunes gens chaque année s’embarquent par les ports de l’ouest de la France et vont chercher fortune en Amérique ; quelques-uns, bien longtemps après, retournent au pays avec le fruit de leur travail et de leurs économies, mais combien aussi succombent dès le début à la misère et aux maladies ! On peut mettre en fait que la conscription et la vie de caserne ne coûteront jamais aux provinces ce que leur coûtent l’émigration et la vie des pampas. Quant aux impôts qu’elles n’étaient point accoutumées à payer, la stérilité de leur