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membres choisis dans leur sein veillait sur la conduite des officiers royaux, et l’un de ces membres, résidant à Madrid, transmettait sans retard à sa majesté les plaintes du royaume. Les ordres du monarque devaient être visés par le conseil de Navarre, et tous ceux qui portaient atteinte aux fueros étaient « écoutés et non accomplis. » En 1841, à la suite de la première guerre civile, par un accord conclu avec le gouvernement central, la Navarre consentit à prêter le service militaire comme les autres provinces non exemptes, à subir les contributions indirectes, à l’exception du papier timbré, à payer en outre un impôt direct et fixe d’un million et demi de réaux par an, plus trois millions pour la dotation du clergé. Quoique cet impôt ne fût pas tout à fait calculé d’après la richesse du pays, il n’en constituait pas moins un grand sacrifice pour les Navarrais, qui voyaient l’ancien don gracieux converti en contribution forcée. Les douanes étaient portées à la frontière de France, l’administration de la justice, l’organisation municipale, étaient rendues conformes à celles de tout le royaume ; enfin le vice-roi était supprimé et ses pouvoirs partagés entre un commandant militaire et un gouverneur politique, président de la députation. Dès lors on pouvait dire que la Navarre était virtuellement égalée aux autres provinces de la monarchie.

En consultant l’histoire, on voit que cette situation des provinces basques et de la Navarre, exceptionnelle à notre époque, fut un temps l’état normal de toutes les contrées de la péninsule ; chacune d’elles avait ses libertés particulières, ses fueros garantis par les sermens des rois et plus ou moins- vastes, plus ou moins précieux, selon ses origines et la façon dont elle était entrée dans le faisceau de la monarchie. Tel l’Aragon, où la royauté était née dans les mêmes conditions qu’en Navarre, de l’élection d’un chef par ses pairs ; tel encore le royaume de Valence, qui fut conquis par l’Aragon et qui lui emprunta une partie de ses lois. Le code primitif des Aragonais portait en propres termes « que, si jamais le roi violait leurs fueros, ils auraient le droit d’élire à sa place un autre roi, fût-il païen ; » même, quand cette formule eut disparu, il resta encore « entre le roi et les sujets quelqu’un pouvant plus que lui et eux. » C’était le justicia, magistrat suprême devant lequel il était permis de déférer les actes du monarque et de ses officiers, et ce représentant de la nation n’était lui-même jugé par personne. Les libertés de la Castille, soumises plus directement à l’autorité des rois, périrent les premières sous Charles-Quint après la défaite des communeros. En 1592, les Aragonais ayant osé soutenir contre Philippe II son ministre rebelle, Antonio Perez, le monarque, pour les punir, leur enleva avec leur justicia la plupart de leurs