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seules à posséder une organisation particulière ; jusqu’à notre époque, la Navarre, peuplée de Basques en grande partie, se gouverna avec ses propres lois civiles et politiques. On connaît l’histoire de ce pays et ses principaux monarques : don Sancho le Grand, qui fit une royauté de la Castille pour la donner à son fils Fernando ; Alfoese Sanchez le Batailleur, qui prit aux Mores dix villes importantes ; don Sancho le Fort, qui décida en faveur des chrétiens la grande bataille de las Navas ; don Carlos le Mauvais, qui fut l’ennemi de la France pendant un règne de vingt ans ; don Juan II d’Aragon, qui fit empoisonner son fils don Carlos, prince de Viana, et sa fille Blanche, parce que tous deux revendiquaient la couronne du chef de leur mère ; François Phœbus, de la maison de Foix, et enfin Catherine sa sœur, femme de Jean d’Albret, que les Espagnols appellent Juan de Labrit et qui fut le dernier roi de la Navarre indépendante. En effet, sous les prétextes les plus futiles, Ferdinand le Catholique envahit ce royaume et s’en empara sans coup férir en 1512, ne laissant aux souverains légitimes que leurs états de Béarn, de l’autre côté des Pyrénées. Du moins usa-t-il envers les Navarrais des ménagemens les plus grands, et tous ses successeurs après lui, comme s’ils voulaient faire oublier par leur douceur et leur bienveillance l’odieux de cette agression. C’est ainsi que la Navarre conserva même après la conquête toutes ses libertés. Elle aussi, comme les provinces basques, avait son fuero général écrit ; mais, tandis que dans la Vizcaye et le Guipuzcoa, pays toujours indépendans, les habitans étaient tous égaux entre eux, en Navarre, où la majeure partie du territoire quelque temps occupé par les Mores fut graduellement reconquise et repeuplée par les chrétiens, l’état social reconnaissait une foule de classes et de catégories, telles que riches-hommes, chevaliers, hidalgos de lignage et de parchemin, bourgeois, étrangers et vilains. Les nobles pendant tout le moyen âge jouirent de droits considérables et fort pesans pour les vilains : ils ne payaient aucun impôt ni eux ni leurs intendans ; ils avaient droit de domicile dans le canton où ils ne demeuraient pas, pourvu qu’ils y possédassent une habitation ; leurs demeures étaient un lieu d’asile, sauf pour les voleurs et les traîtres ; le noble n’était pas tenu d’accomplir sa promesse-envers un vilain ; le noble accusé de vol par un vilain était absous la première fois en donnant sa parole ; le noble héritait du vilain, à défaut d’héritier direct, et les terres ainsi héritées étaient exemptes d’impôt ; les hidalgos ne pouvaient être jugés que par le roi en union de trois riches-hommes ou infanzones ; les hidalgos ne pouvaient être mis à la torture, ni leurs armes et leurs chevaux retenus pour dettes sinon par les fermiers ou percepteurs des droits royaux, La séparation était si