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la mère patrie. ML Trollope déclare qu’il a peine à comprendre comment on peut trouver des évêques pour les colonies australasiennes. On en trouve cependant, et on en trouverait probablement, le salaire fût-il encore moindre, car, en outre du dévoûment religieux qui remplirait quand même ces sièges, il est clair qu’il y a dans les rangs du clergé anglican nombre de clergymen pour qui 500 livres sterling ne sont pas chose indifférente ; seulement il serait assez difficile de les leur donner toujours de la qualité que ces colonies requièrent. Aussi exigeans que parcimonieux sur ce chapitre, les Néo-Zélandais veulent, pour le prix modeste qu’ils y mettent, des évêques de premier choix, rien moins que des gradués d’Oxford ou de Cambridge, d’une piété reconnue, d’une éloquence renommée, de noble parenté et de grosse fortune, et qui, par-dessus le marché, aient l’heur de ne pas leur déplaire par des opinions sentant trop le parti de la higk church, sinon ils le prieraient de se rembarquer, comme il a été fait déjà pour le premier évêque d’Otago. C’est certainement beaucoup demander, et il nous semble que des évêques du caractère de celui de Nelson, dont M. Trollope nous donne la silhouette en passant, francs du collier, d’allures populaires, bons cavaliers, de poignets assez solides pour boxer au besoin avec un cacatoès irrévérencieux, et, à défaut du monseigneur, lui imposer au moins le monsieur, feraient bien mieux l’affaire des colons que des prélats ornés de qualités si précieuses et si difficiles à rencontrer réunies.

En lisant les récits qui nous sont faits tant de l’Australie que de la Nouvelle-Zélande, on ne peut s’empêcher d’être frappé du peu de place que tient la religion dans les préoccupations de ces deux colonies. Ce n’est cependant pas impiété et mauvais vouloir chez leurs habitans, c’est que véritablement toutes les circonstances y sont fatales à l’élément religieux. Nous venons de voir comment l’antipathie d’une suprématie religieuse quelconque est née naturellement des différences d’origine des colons ; de même les distances et la vie au sein des solitudes opposent un obstacle presque invincible à l’observation des devoirs religieux. Les stations sont éloignées les unes des autres, souvent sans voisins, et les nids de cacatoès (c’est le nom qu’on donne en Nouvelle-Zélande aux agglomérations de petits agriculteurs) sont ou trop pauvres pour faire les frais d’un ministre, ou d’un chiffre trop mince pour que la colonie les dote d’une église. De ces difficultés est née une sorte de culte laïque, très acceptable dans la plupart des sectes protestantes, bien qu’il le soit un peu moins dans l’église anglicane. Lorsque la chose est possible, et elle l’est toujours si le squatter est marié, on se réunit à la station une ou deux fois par mois, et l’office religieux est récité par le squatter lui-même faisant