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de son garde-manger. D’ordinaire on joint à ce pillage une vigoureuse volée de coups de trique afin d’inculquer à l’infortuné les principes de la sagesse d’une manière sensible ; il est vrai que par manière d’atténuation on autorise la victime à se défendre, ce qui lui permet d’éviter une partie de sa correction, s’il est suffisamment ferré sur les arts de la savate et du bâton. Le muru peut être appliqué plusieurs fois pour le même accident par plusieurs bandes successives, cela dépend de la nature de l’accident. Par exemple, dit M. Trollope, une femme mariée s’enfuit avec un séducteur ; le mari reçoit d’abord la visite de ses parens qui viennent lui offrir leurs complimens de condoléance, et après avoir dévoré tout leur soûl de ses provisions s’en retournent chargés de tout ce qu’ils peuvent emporter, puis celle des parens de sa femme, qui le punissent de ne l’avoir pas mieux surveillée par un second pillage, puis celle des amis du séducteur qui vengent sur les meubles de l’époux la fausse position que s’est créée leur camarade. Innombrables sont les cas ou le muru peut être appliqué. Un enfant tombe dans le feu et se brûle, le père est immédiatement pillé. Un canot chavire, et ceux qui le montaient se sont noyés ou ont failli se noyer, le propriétaire du canot subit la correction vengeresse. Ce qu’il y a de tout à fait curieux c’est que le muru est considéré comme une haute marque d’honneur, qu’il serait honteux d’y échapper, et que le pillage ne rencontre jamais la moindre résistance. Et en effet pourquoi celui qui en est victime résisterait-il ? Pillé aujourd’hui il prendra demain sa revanche sur ses voisins, car il est impossible qu’aucune existence humaine s’écoule sans accidens, et par conséquent il garde toujours l’espérance de se refaire un mobilier à bref délai. Avec un pareil système d’amende, il est clair que la propriété individuelle devient de difficile formation, et que les richesses de la tribu courent peu de risque de s’accumuler dans les mêmes mains. Voilà une manière d’activer la circulation des capitaux à laquelle nos communistes européens n’ont pas encore pensé, et qu’on peut recommander à leurs méditations.

Eh bien ! ici encore il me semble que cette coutume, pour si excentrique qu’elle paraisse, se retrouverait ailleurs que chez les Maoris. En quel lieu du monde le malheureux n’a-t-il pas à payer son malheur ? Demandez aux armées en déroute, dont les traînards isolés sont dépouillés par les paysans, aux naufragés dont le navire échoué est pillé sous leurs yeux par les habitans des côtes, aux maisons en deuil dont les maîtres ne sortent de leur douleur que pour s’apercevoir qu’ils ont été volés pendant qu’ils n’avaient d’âme que pour leur perte, au spéculateur dont le crédit s’ébranle et qui se voit d’autant plus pressé qu’il a plus besoin de liberté. Et les peuples malheureux, de combien de manières n’ont-ils pas à