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dépravation, mais la bravoure est une vertu, même quand elle est la fille d’une telle mère, et cela prouvera, si l’on veut, que Hegel et M. Azaïs ont eu raison l’un et l’autre, quand ils ont avancé, le premier que toute chose appelle et engendre son contraire, et le second qu’il n’est rien qui n’ait sa compensation.

Toute tenace cependant que soit cette coutume par les instincts de férocité qu’elle aiguise et par l’horrible gourmandise qu’elle crée, elle avait diminué sensiblement au contact des Européens, et il était permis d’espérer que la civilisation en viendrait à bout, lorsque la politique des chefs maoris en lutte avec le gouvernement colonial lui a donné une recrudescence malheureuse par suite d’une réaction inventée comme machine de guerre contre les Européens, Nous parlerons dans un instant de cette réaction qui, tout odieuse qu’elle soit, n’est pas sans faire honneur à la sagacité et à l’intelligence de ses promoteurs. Toutefois cette recrudescence s’est bornée aux régions exclusivement occupées par les Maoris qui ont rejeté le gouvernement de la reine pour adopter un roi de leur nationalité, de sorte que l’anthropophagie est ainsi comme emprisonnée et tenue en état de siège ; d’ailleurs la jeune Zélande, c’est-à-dire les chefs plus ou moins entourés par la civilisation et amis plus ou moins sincères du gouvernement anglais, fait volontiers étalage de sa conversion à cet égard. M. Trollope venant à parler de Rauparaha, un terrible chef maori, auteur d’un affreux massacre de colons, nous donne sur ce sauvage et sa descendance les curieux détails suivans. « Ce Rauparaha avait été un grand cannibale et un horrible fléau pour les Maoris de l’île du Milieu, dont il avait dévoré bon nombre ; mais il avait une grande réputation de sagesse, et il sut s’arranger après toutes ses difficultés tant avec les Maoris qu’avec les blancs pour mourir dans son lit à une vieillesse avancée. J’eus le plaisir de me trouver avec son fils à la table du gouverneur, et de jouer avec lui au volant dans la salle de notre hôte. Ce nouveau Rauparaha est aussi un homme puissant parmi les Maoris, et il est en termes très amicaux avec les blancs. On dit de lui qu’il a tué des hommes, mais qu’il n’en a jamais mangé ; on dit de son père qu’il avait tué des hommes, et qu’il les avait mangés, — et il en avait certainement mangé beaucoup ; — mais on dit de son grand-père qu’il avait tué des hommes, qu’il les avait mangés, et qu’ensuite il avait été lui-même tué et mangé comme un vrai guerrier maori du bon vieux temps qu’il était. » Ce sont les trois générations de burgraves de M. Victor Hugo, transportés en Nouvelle-Zélande et transformés de la manière la plus amusante et la plus heureuse.

Outre l’anthropophagie, les Maoris ont un certain nombre de coutumes qui ont étonné tous les voyageurs, mais qui, je le crois bien, sont pour un philosophe plus singulières en apparence qu’en