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antérieures qui ont permis à la passion de s’installer en maîtresse dans une âme devenue complice volontaire de son asservissement.

Les moralistes ne sont pas les seuls à protester contre l’identité qu’on prétend établir entre les fous et les grands criminels. L’existence d’une folie morale (moral insanity), admise par le docteur Pritchard, parait de plus en plus contestable aux aliénistes les plus autorisés. Dans un livre récent, le docteur Flemming a combattu avec une grande force et l’autorité d’une longue pratique la doctrine suivant laquelle le sens du bien et du mal pourrait être malade sans que les facultés intellectuelles fussent altérées. Toutes les facultés de l’âme sont solidaires, et, si le crime n’était qu’une forme de l’aliénation, il devrait toujours être accompagné d’hallucinations, de conceptions délirantes, attestant un trouble général et morbide de l’esprit. Puisqu’il est loin d’en être toujours ainsi, n’en faut-il pas conclure que là où ces signes n’existent pas, nous sommes en présence de la perversité toute seule et non de la folie ?

Aux symptômes intellectuels s’ajoutent presque invariablement les symptômes physiologiques, et c’est là encore, nous semble-t-il, un moyen de distinguer scientifiquement les criminels aliénés de ceux qui ne le sont pas. « Voici, dit le docteur Maudsley, un homme qui a toujours été modéré dans sa conduite, prudent et laborieux en affaires, exemplaire dans toutes les choses de la vie. Tout d’un coup un grand changement s’opère en lui ; il se jette dans les dissipations de toute espèce, se lance dans des spéculations commerciales effrénées, et ne conserve plus le moindre respect ni pour sa femme, ni pour sa famille, ni pour les devoirs de sa position. Ses amis, confondus, ne voient là que les effets du vice et gémissent qu’un homme de tant d’honneur et de vertu ait pu faire une si triste chute. Au bout de quelque temps, ils apprennent qu’il va passer en cour d’assises pour y répondre soit d’un attentat à la vie de quelqu’un, soit d’un vol d’argent ou de bijoux, et ils ne s’étonnent pas que les vices de ce malheureux l’aient conduit là. Mais un médecin compétent examine cet homme, il note en lui une légère particularité de la prononciation et peut-être une inégale dilatation des pupilles ; ces symptômes, rapprochés de l’histoire de sa vie passée, permettent au médecin de dire avec une certitude positive que cet individu est frappé d’une maladie qui, minant peu à peu son intelligence et ses forces, détruira, avant qu’il soit longtemps, ses facultés mentales et ses facultés physiques, et enfin sa vie. C’est là un mal si bien connu que le médecin peut satisfaire à ce qui est l’épreuve de toute science, c’est-à-dire prédire avec certitude ce qui doit arriver. » Un dernier moyen de discernement entre les criminels aliénés et les criminels ordinaires, c’est l’examen des antécédens héréditaires. La transmission de la folie est prouvée, celle du