Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/866

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la merci d’une force étrangère ? telle est pourtant la conséquence à laquelle on voudrait arriver quand on parle de l’hérédité du crime. Non, le crime pris en soi n’est pas et ne peut être héréditaire, et quant aux tendances perverses qui l’inspirent, quelle que soit leur puissance, elles ne sont jamais irrésistibles, au moins à l’état de santé : nous croyons l’avoir montré plus haut.

Ce qui explique l’apparente hérédité du crime, c’est l’identité de milieux, d’influences de toute sorte, qui peuvent agir sur les générations successives d’une même famille. Si les annales des bagnes présentent des dynasties de criminels, c’est que la misère, la haine de la société, la fainéantise, les mauvais exemples, l’impossibilité de réhabiliter un nom flétri, peut-être aussi je ne sais quelle épouvantable gloriole à conserver intact, en l’augmentant encore, le patrimoine de honte et de réprobation légué par le père ou l’aïeul, ont maintenu dans la voie du mal les tristes héritiers de tels ancêtres. Quant aux signes physiques qui, dit-on, signalent aux yeux d’un observateur exercé ceux qui sont voués par naissance à la fatalité du crime, il serait téméraire d’y voir autre chose que l’effet de conditions hygiéniques détestables agissant d’une manière continue pendant plusieurs générations, et nous attendrons des preuves plus décisives pour admettre qu’ils sont l’expression infaillible et scientifiquement constatée d’une perversité congénitale.

En résumé, nous n’apercevons aucune raison décisive de modifier les vieilles et saines notions sur la responsabilité. Il reste vrai que l’homme est responsable devant la société toutes les fois qu’il a accompli librement et en connaissance de cause un acte portant atteinte à l’honneur, à la propriété, à la vie de son semblable. Il n’y a pas ici à discuter si l’homme est vraiment libre, ou s’il n’est que l’instrument d’une fatalité psychologique ou organique dont il n’aurait pas conscience. Le problème de la liberté peut se poser en métaphysique, mais non en morale, parce que nier la liberté, c’est nier la morale elle-même. Moralement, légalement, l’homme est libre par cela seul qu’il se sent tel.

La liberté s’atteste au sens intime par la possibilité d’un choix entre deux ou plusieurs motifs, et plus précisément par la possibilité de prendre une détermination ou de s’abstenir. Et c’est cette possibilité dont on nie l’existence chez les grands criminels. Mais la seule preuve qu’on donne à l’appui de cette thèse est une pure et simple négation que rien ne justifie. On dit : pour commettre un tel crime, il faut que l’homme ait été dans l’impuissance de ne pas le commettre. Cela s’appelle résoudre la question par la question. Il est bien vrai que nous ne pouvons nous installer dans la conscience des grands coupables et lire ce qui s’y passe ; mais nous pouvons lire dans la nôtre et raisonner ensuite par analogie. Or nous