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inouïs, leur pauvre fille résignée et innocente ; ces monstres trouvent sans doute une épouvantable volupté dans leur rôle de bourreaux : j’accorde qu’il y ait là une sorte de perversion congénitale de certains sentimens, mais je nie que la raison se taise entièrement en eux et qu’ils ne jugent pas criminelle une telle conduite. Je nie surtout que, mis en présence d’actes semblables, il leur fût impossible de décider s’ils sont bons ou mauvais. Or, on ne saurait trop le répéter, c’est la faculté du jugement moral, et non les sentimens qui en sont l’ordinaire conséquence, qui est la condition essentielle de la responsabilité.

Quant à l’absence de certains sentimens égoïstes qui pourraient lutter contre l’impulsion criminelle, nous ne voyons pas trop ce qu’il est permis d’en conclure. Que la plupart des grands criminels négligent les plus élémentaires précautions de prudence, annonçant à l’avance leurs forfaits par des menaces publiques, qu’ils semblent peu craindre les châtimens qui les attendent, en quoi leur responsabilité est-elle par là supprimée ? Cela prouve simplement qu’ils manquent de prévoyance ou d’adresse et qu’ils tiennent peu à la vie. On comprend que des natures ignorantes et brutales s’entendent mal à tout combiner pour égarer les investigations de la justice ; mais les criminels qui appartiennent aux classes éclairées de la société ne sont généralement pas si naïfs et ils déploient souvent des ressources merveilleuses de dissimulation prolongée. On comprend aussi que la mort semble parfois préférable à une vie de misère et d’abjection. « Je suis feignant, disait aux jurés le parricide Lemaire ; j’ai horreur du travail. Si je ne veux pas travailler en liberté, ce n’est pas pour aller travailler au bagne ; je me laisserai mourir de faim. » D’ailleurs, au moment où le crime est commis, le coupable a toujours l’espoir d’échapper à l’expiation, et quand elle est proche, il met une sorte de point d’honneur à ne point trembler devant elle.

On fait grand bruit dans une certaine école de l’hérédité du crime. Il est difficile de nier d’une manière absolue l’hérédité des dispositions morales, bien que les faits jusqu’ici constatés soient loin d’autoriser toutes les inductions qu’on a prétendu en tirer. Mais un crime n’est pas proprement une disposition ; c’est un acte, et l’on ne va pas encore jusqu’à soutenir l’hérédité des actes. Qu’un homme reçoive de ses parens le germe de passions violentes qui, plus tard, pourront l’entraîner au crime, je n’y contredis pas, et j’accorderais volontiers que sa responsabilité est par là diminuée ; est-il rigoureux d’en conclure que ces passions aboutiront fatalement à des crimes, et à des crimes d’une espèce déterminée ? S’ensuit-il qu’aucun effort de la volonté ne pourra les réduire et que le malheureux qu’elles possèdent sera comme un aveugle instrument