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n’agissaient que dans les grandes eaux et s’obstruaient aisément. Nulle grande rivière ne s’y déversait ; il ne recevait guère que des torrens, tantôt presqu’à sec, tantôt redoutables. Nul lac compris dans son bassin hydrologique ne lui envoyait son tribut. Il n’était alimenté, à vrai dire, que par les pluies et la fonte des neiges : il ne perdait rien que par l’évaporation, cause perpétuellement active et essentiellement variable, car elle dépend de l’état hygrométrique de l’atmosphère, qui change sans cesse. Supposez, dit M. Brisse, une série indéfinie d’années humides, c’est-à-dire pendant lesquelles les pluies l’emportent sur l’évaporation, un tel lac montera jusqu’au moment où il aura acquis une superficie sous l’influence de laquelle l’évaporation lacustre lui enlèvera un volume égal à celui que lui apporteront les pluies, situation dans laquelle il aura atteint son maximum d’étendue, et demeurera stationnaire, au grand danger de toute la contrée. Les sondages démontraient d’ailleurs que la cuvette du lac était peu profonde, la pente générale uniforme et douce, le fond composé d’une énorme couche d’argile surmontée d’une couche épaisse de terre végétale. En effet, à mesure que les hommes avaient déboisé les montagnes environnantes, l’humus caché dans les replis de ces montagnes avait glissé dans le bassin lacustre ; outre cela les millions de fascines que, depuis des siècles, les pêcheurs jetaient dans les eaux pour prendre le poisson avaient préparé, en pourrissant, un sol admirable à l’agriculture. En présence de telles données, la tentation était irrésistible de reconquérir, au prix de quelques efforts, de si précieux élémens de richesse.

Le prince Torlonia, en se chargeant seul de toute l’entreprise, en transformait à la fois les conditions et le caractère. Ce n’était plus une œuvre anonyme, car il avait l’ambition et la volonté d’attacher son nom à un de ces grands travaux où l’honneur et l’intérêt national se confondent avec l’honneur et l’intérêt privé. La question financière n’était plus un embarras : les 40, les 50 millions nécessaires, on les aurait à point nommé, sans incertitudes, sans retards. Tout se simplifiait. Il y avait bien un traité de concession, légué par la compagnie napolitaine, qui contenait des clauses rigoureuses ; mais on n’avait pas lieu de s’en inquiéter, parce que, dans les conditions nouvelles de l’entreprise, ces clauses ne pourraient être maintenues. Les précautions que le gouvernement napolitain avait cru devoir prendre à l’égard d’une société où devaient figurer surtout des étrangers n’avaient plus de raison d’être ; plus de service d’intérêt à des actionnaires pendant la durée des travaux, plus de complaisances à acheter de côté et d’autre ; on apportait au gouvernement, au pays, la formelle assurance d’un grand bienfait