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fallait d’air respirable, par exemple dans la portion du tunnel à ouvrir sous le mont Salviano, à 300 mètres de profondeur, et comment extraire les déblais ? — C’est ici que se montre le déploiement inouï de moyens imparfaits, mais cependant énergiques, par où l’antiquité suppléait à l’infériorité de son industrie, dépourvue de nos puissantes et ingénieuses machines. L’air respirable était introduit, assurément en abondance, par les puits verticaux et par les cunicoli, galeries obliques traversant quelquefois plusieurs puits verticaux et correspondant par le tunnel avec d’autres galeries remontant en sens contraire, comme les branches d’un siphon. Sur toute la ligne du lac au Liri, les hardis mineurs romains n’ont pas creusé moins de quarante puits et de six cunicoli.

Ces mêmes galeries servaient à l’extraction des matériaux, grâce à un système dont on a l’image fidèle sur un bas-relief antique enfoui dans l’émissaire comme ceux d’Angitia. Ce fragment représente l’intérieur d’un des puits que nous venons de désigner, muni de boisages tels qu’on en a retrouvé un grand nombre dans les diverses galeries. Les croisées horizontales formées par ces boisages divisent le puits en quatre sections verticales, parcourues par quatre bennes ou seaux cylindro-coniques en cuivre, renforcés de larges bandes de fer. Ces bennes montent et descendent pour enlever les déblais à l’aide de cordages enroulés sur un tambour vertical, que des esclaves placés à l’ouverture supérieure du puits font tourner par une longue barre à l’extrémité de laquelle ils se tiennent, travail grossier, lent et pénible que des animaux eussent mieux accompli que des hommes. Une de ces bennes a été retrouvée intacte avec son entière armature.

Le contraste de l’insuffisance des moyens compensée par la prodigalité des efforts se montre en particulier dans un curieux épisode de la construction primitive que les explorations récentes ont seules révélé dans le détail. À l’endroit où le tunnel quittait la roche compacte qui forme la base du mont Salviano pour entrer dans les argiles des Champs Palentins[1], il déviait tout à coup vers la gauche, et ne revenait que 132 mètres en aval vers la ligne normale. Un mur fermait la section de la galerie au lieu même où elle était abandonnée. De précédens explorateurs croyaient que les Romains avaient rencontré là une effroyable caverne et des eaux souterraines ; mais les derniers ingénieurs, en pénétrant dans ces lieux, y ont reconnu, à la nature des matériaux épars, un éboulement survenu au moment où les ouvriers romains maçonnaient cette partie. Les eaux du lac auront fait irruption, par suite d’une crue peut-être, alors que, la

  1. Entre les puits 19 et 20. Le numérotage conventionnel des puits commence du côté de l’embouchure ; le mont Salviano se trouve entre le 22e et le 23e.