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inonder les fosses et rendre la continuation du travail impossible. Des bandes de mineurs envahirent la ville de Scranton et y firent fermer les ateliers et les boutiques. Le maire, de peur de compromettre sa popularité, refusa de recourir au gouverneur et de demander l’envoi de quelques compagnies de milice ; il voulut haranguer les émeutiers, il fut battu, renversé, foulé aux pieds, et serait resté sur la place, si un prêtre catholique ne l’avait couvert de son corps et ne l’avait fait enlever par quelques ouvriers irlandais, La ville ne fut délivrée de ses envahisseurs que par l’initiative des principaux commerçais, qui se réunirent en armes à l’hôtel de ville, au nombre d’une centaine, marchèrent aux émeutiers et les dispersèrent par une couple de décharges, Il fallut occuper militairement toute cette région, où l’on ne pouvait évaluer à moins de 45,000 le nombre des ouvriers en grève. L’agitation fat lente à s’apaiser parmi « cette population ignorante et grossière, habituée à la violence et animée de ressenti mens aveugles, La grève ne se termina pas avant les premiers jours de septembre, et il n’a pas encore paru possible de retirer les troupes fédérales qui restent campées dans le voisinage des exploitations les plus considérables.


IV

Au sortir de cette crise, heureusement aussi courte qu’elle avait été intense, la nation américaine s’éveilla comme d’un cauchemar ; elle mesura avec stupeur et les dangers qu’elle avait courus et les pertes qui avaient été en quelques jours infligées à la fortune publique. Nombre d’esprits établirent un rapprochement entre les événemens de Baltimore et de Pittsburg et les scènes de la commune de Paris. Un journal de New-York traduisit même les récits de M. Maxime Du Camp comme un avertissement et une prédiction de l’avenir que la propagande socialiste prépare à la nation américaine. « Plusieurs millions de citoyens, disait-il, qui ne savaient pas, il y a un mois, ce que c’était que les trades-unions, ne l’ignorent plus aujourd’hui. Des milliers de membres de ces associations, qui ne comprenaient pas la portée des sermens qu’on leur imposait, en mesurent aujourd’hui toute l’étendue. » Une cruelle leçon venait en effet de démontrer aux Américains que leur pays n’était pas exempt, comme ils se plaisaient à le croire, des périls qui assiègent les vieilles sociétés européennes, et qu’il y avait peut-être lieu de surveiller avec plus d’attention certaines prédications et certains actes à l’égard desquels ils croyaient jusqu’ici pouvoir conserver impunément une indifférence absolue. Cette sécurité était trompeuse, et la presse américaine est unanime à reconnaître que l’existence, au sein de la société, d’un gouvernement occulte qui