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immédiatement les émeutiers, massés sur les voies ou étages sur une éminence qui domine la sortie de la gare, firent pleuvoir sur la troupe une grêle d’énormes pierres, accompagnée de coups de fusil et de coups de revolver. Le shérif et le général Pearson tombèrent ; le second était grièvement blessé : plusieurs miliciens étaient également atteints. Pour se dégager, la milice, formée en carré, fit feu, et la foule s’enfuit dans toutes les directions, laissant sur place un certain nombre de morts et de blessés. Pendant qu’on relevait les corps, les miliciens de Pittsburg, demeurés jusque-là spectateurs passifs, rompirent les rangs et se débandèrent, les artilleurs abandonnèrent leurs pièces. Laissés seuls aux prises avec l’émeute, les Philadelphiens n’étaient pas en force pour agir : leurs chefs les firent rentrer dans la gare et les établirent dans la rotonde aux machines pour y attendre les renforts qu’on avait demandés au gouverneur.

La désertion de la milice locale et la retraite des Philadelphiens à l’intérieur de la gare des voyageurs enflammèrent l’ardeur des émeutiers, qui, après avoir parcouru la ville en criant vengeance et pillé une manufacture d’armes et toutes les boutiques d’armuriers, redescendirent vers le chemin de fer, précédés de tambours qui battaient la charge. Le siège de la rotonde commença aussitôt : les miliciens répondaient par les fenêtres à la fusillade incessante dirigée contre eux. Les émeutiers essayèrent de mettre le feu à la rotonde soit directement, soit en incendiant les bâtimens voisins : on se battit toute la nuit à la lueur des flammes : trois cents wagons et des bâtimens considérables furent ainsi consumés, et le feu éclata sur divers points de la ville. Au lever du jour, des cris de triomphe saluèrent l’arrivée d’un des canons abandonnés la veille par les artilleurs de Pittsburg ; on le braqua sur la rotonde, mais les miliciens, par un feu bien dirigé, abattirent successivement tous ceux qui essayèrent de charger la pièce. Exaspérés par leur échec, les émeutiers amenèrent sur les diverses voies qui conduisaient à la rotonde des wagons de charbon et des wagons chargés de pétrole et les lancèrent contre ce bâtiment, après y avoir mis le feu. Les barils de pétrole éclataient en projetant des flammes de tous côtés, et lorsqu’une trentaine de wagons eurent été ainsi groupés, quelques minutes suffirent à les changer en une fournaise tellement ardente qu’il était impossible d’en approcher. Les boiseries de la rotonde prirent feu : une clameur féroce s’éleva du sein de la foule qui savourait déjà sa vengeance. Le toit commençait à s’abîmer ; une pluie de feu tombait à l’intérieur de la rotonde ; il fallait quitter ce bâtiment sous peine d’être brûlés vifs. Les miliciens sortirent en colonne serrée, emmenant avec eux leurs mitrailleuses, et, après s’être frayé un passage par deux décharges meurtrières, ils prirent la direction de l’arsenal fédéral, situé à l’extrémité d’un des