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Le druidisme, définitivement abandonné par les hautes classes, qu’il ne pouvait plus servir, fut réduit à végéter dans les rangs inférieurs de la population et dans les cantons, tels que ceux d’Armorique, qui se montrèrent plus revêches que les autres à cette romanisation systématique. On sait que Claude en défendit l’exercice public sous peine de mort, en même temps qu’il ouvrait à deux battans les portes du sénat aux descendons des vaincus de César.

En vain quelques mouvemens, toujours promptement réprimés, entre autres l’insurrection du Batave Civilis, quelques essais temporaires d’empire gaulois, celui surtout qui put se maintenir de 253 à 274, et qui fut détruit par Aurélien, interrompirent de temps à autre ce long effacement. Bientôt l’intérêt commun du monde civilisé devant les masses confuses de barbares qui s’agitaient sur les frontières de l’empire réunit les Gaulois à tous les autres peuples conquis dans une même appréhension, dans une même résistance. Quand vinrent les grandes invasions, les Gaulois se considérèrent comme Romains. D’ailleurs le christianisme s’était répandu et consolidé chez eux sous la forme romaine, et le catholicisme, par sa langue, son organisation, son esprit centralisateur, à bien des égards perpétua pour eux l’empire dissous. Quand la monarchie carolingienne se constitua, quand plus tard la royauté s’éleva sur les ruines de la grande féodalité, ce furent les traditions et les lois de l’empire qui fournirent les modèles, les principes d’administration et de législation. De nos jours même n’avons-nous pas eu la preuve, dans cette constitution césarienne qui se fit si aisément accepter à deux reprises, de la force durable de ce que j’appellerai le pli romain imprimé par les événemens sur notre caractère national ?

L’indulgence de nos historiens pour le bourreau de nos ancêtres s’explique donc aisément par de vieilles habitudes de solidarité morale avec Rome ; mais aujourd’hui la filière de notre descendance nationale est trop bien établie pour que nous puissions penser avec indifférence à la série de sanglans désastres qui ajournèrent à plusieurs siècles de là l’essor de notre nationalité distincte. M. le duc d’Aumale a eu raison de dire que Vercingétorix est le premier en date des Français. Ce que l’on peut ajouter à titre de consolation historique, c’est que, l’empire romain étant ce qu’il était au moment où César passa les Alpes, la conquête de la Gaule était une exigence impérieuse de sa durée, et que la disproportion des forces était telle qu’à la longue la Gaule devait succomber. L’empire pouvait rester sur la défensive vis-à-vis des hordes belliqueuses, mais affreusement pauvres, ne valant certes pas la conquête, de la Germanie ou de la Sarmatie. La Gaule était déjà trop riche, trop peuplée, et allait devenir trop redoutable pour que Rome laissât se