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fit changer de direction à temps, et il fut mis en lieu de sûreté. Enfin, dans la soirée, plusieurs détachemens de troupes fédérales, envoyées par le commandant du fort Mac-Henry, arrivèrent avec de l’artillerie, qui fut mise immédiatement en position. À la pointe du jour, deux bâtimens de guerre entrèrent dans le port et mirent à terre leurs équipages et quelques compagnies d’infanterie de marine. À midi, le général Bancock, appelé de New-York par un télégramme du président, débarqua avec de nouvelles troupes et prit immédiatement le commandement. Le déploiement de forces qu’il ordonna intimida les émeutiers, qui se dispersèrent, et le calme se rétablit dans la rue. Une vingtaine de personnes avaient été tuées raides ou blessées mortellement, plus d’une centaine avaient reçu des blessures graves ; on supposait qu’un nombre plus considérable encore de grévistes qui avaient été légèrement atteints et qui avaient pu regagner leur domicile, se cachaient d’avoir été blessés, de peur de laisser connaître leur participation à l’émeute.

Pendant que le sang coulait dans les rues de Baltimore, la grève se généralisait dans l’Ohio, et y défiait les efforts de l’autorité civile. Saisi des plaintes de la compagnie, dont le service était partout interrompu par la force et dont les agens étaient maltraités et menacés de mort, le gouverneur Young appela à Columbus quatre compagnies de milice et présida lui-même à leur embarquement pour Newark, point de rencontre de plusieurs embranchemens. Les employés du chemin de fer accueillirent les miliciens par des sifflets et des huées : le train qui avait amené les miliciens de Springfield avait failli dérailler, et le train expédié à Newark fit partir plusieurs torpilles disposées le long de la voie, mais dont l’explosion ne causa que des dégâts matériels sans déterminer d’accident. Arrivés à Newark, les miliciens y trouvèrent toutes les voies occupées par un rassemblement de près de 3,000 hommes, formé d’ouvriers de toutes les professions qui étaient accourus des localités voisines pour prêter main-forte aux grévistes. Ils durent se borner à protéger les bâtimens de la gare et la halle aux marchandises contre le pillage et l’incendie. Il n’y avait point à essayer de rétablir le service : à l’arrivée de chaque train, mécaniciens et chauffeurs avaient été violemment arrachés des locomotives ; avis avait été donné que quiconque prêterait son concours à la préparation d’un train serait immédiatement fusillé ; pour surcroît de précautions, on avait enlevé des machines et des wagons les clavettes, les barres de transmission, et les chaînes d’attache, et l’on avait encloué toutes les aiguilles.

Les émeutiers déclarèrent à la milice qu’ils ne l’attaqueraient point tant qu’elle n’essaierait pas de sortir des bâtimens où elle s’était établie et de reprendre possession des voies. « Pourquoi,