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employés du chemin de fer : des rassemblemens tumultueux se formèrent devant le quartier-général, où bientôt il ne resta plus une seule vitre intacte ; des miliciens en uniforme qui essayèrent de fendre la foule pour se rendre à leur devoir furent roués de coups ou intimidés et renvoyés chez eux. Lorsque les hommes se furent équipés et eurent formé leurs rangs, le colonel fit ouvrir la grande porte, et les miliciens sortirent, la baïonnette en avant. La foule les accueillit par une explosion de huées et de hurlemens et une volée de pierres ; elle reculait devant eux, mais à chaque coin de rue on rencontrait de nouvelles masses ; attaqués en tête et en queue, les miliciens n’avançaient que sous une grêle continuelle de cailloux et de briques, entremêlée de nombreux coups de pistolet. Enfin, un milicien étant tombé grièvement blessé, ses camarades firent feu. La foule se dispersa, laissant sur le terrain un mort et un certain nombre de blessés ; mais elle revint bientôt, et ce ne fut que par plusieurs décharges successives que les miliciens s’ouvrirent un passage jusqu’à la gare, où ils ne tardèrent pas à se trouver bloqués.

Le maire télégraphia au gouverneur qu’il était obligé de contre-mander le départ des miliciens, parce qu’il ne pouvait plus répondre du maintien de l’ordre. En effet, le feu éclatait sur plusieurs points de l’immense gare de Camden-Place, et il ne put être éteint que fort tard dans la nuit. Les premières pompes qui furent amenées furent arrêtées au passage et renversées par la foule, qui maltraita les pompiers. La police, qui avait reçu des armes, dut charger plusieurs fois les émeutiers pour ouvrir le passage à quelques pompes. Le feu se déclarait au même moment à la gare de Riverside, établie à proximité du port, et sur trois ou quatre points de la ville. Le lendemain, le siège de la gare de Camden-Place recommença, et l’émeute réussit à mettre de nouveau le feu aux bâtimens, qui ne purent être dégagés que par une fusillade bien nourrie. Les boutiques des armuriers furent pillées, et il en aurait été de même des dépôts d’armes de la milice, si on n’y avait mis garnison. Les émeutiers annonçaient hautement l’intention de démolir ou d’incendier tous les établissemens en relation avec la compagnie Baltimore et Ohio. La police, épuisée de fatigue et à bout de forces, était débordée, et le maire, malgré toute son énergie, désespérait de sauver la ville du pillage, parce que le nombre et l’audace des émeutiers allaient en croissant. Le collecteur des douanes télégraphiait à Washington qu’il ne croyait pas ses caisses en sûreté. Le trésor public avait fait partir pour Baltimore, par la ligne du Potomac, 10 millions de dollars en espèces et en valeurs, destinés à être expédiés en Europe pour le paiement des arrérages de la dette et le remboursement des obligations amorties, et ce précieux envoi pouvait tomber aux mains de l’émeute ; une dépêche télégraphique lui