Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée romaine conserva pieusement le souvenir de l’héroïque défense d’Alise et en fit une belle légende. Le nom de Sainte-Reine donné à l’Alise du mont Auxois vient évidemment de là. Les vies des saints nous racontent qu’il y a très longtemps, à une époque où un méchant empereur romain persécutait les chrétiens, une jeune chrétienne d’Alise, d’une grande beauté, nommée Regina, alluma les convoitises d’un procurateur qui fit tout ce qu’il put pour la faire renoncer à sa foi et la séduire. Irrité de sa résistance opiniâtre, il lui infligea les plus cruelles tortures, et enfin il la fit décapiter[1]. Or ce martyre fut consommé le 7 septembre, et pendant des siècles, ce jour-là, les pèlerins vinrent par milliers des régions environnantes honorer la persévérance et la fin tragique de la pauvre Reine. Tout récemment encore on comptait près de 17,000 pèlerins à la fête d’Alise-Sainte-Reine. C’est précisément l’époque de l’année que, d’après les données des Commentaires, on doit assigner à la reddition de l’oppide gaulois. Ce n’est pas abuser des méthodes usitées dans la critique moderne que de reconnaître dans cette pieuse légende la transfiguration du double martyre de la ville et de son défenseur.

La défaite finale de Vercingétorix fut aussi celle de la grande cause à laquelle il s’était voué. Il y eut bien encore des efforts locaux pour repousser le joug romain. Les Carnutes, les Bituriges, les Bellovakes, les Trévires, les Cadurques surtout, essayèrent. Soit par ses lieutenans, soit par lui-même, César vint facilement à bout de ces suprêmes convulsions de la Gaule expirante. Il n’y eut guère que le siège d’Uxellodunum (Puy d’Issolu) qui lui suscita des difficultés sérieuses. Il en vint à bout avec son énergie habituelle, son habileté consommée ; mais il fit subir un supplice atroce aux derniers défenseurs de la Gaule : il leur fit couper les mains à tous. D’après les calculs de Plutarque, un million de Gaulois avait péri dans les combats, un autre million avait été réduit à l’état d’esclaves. Si la liberté de la Gaule sombra pour longtemps sous le coup de pareils désastres, on peut dire que son honneur demeura intact.

  1. Un trait fort singulier de la légende, telle qu’elle est racontée dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, c’est qu’après lui avoir fait subir des tourmens indescriptibles, et bien que la loi du crescendo dans l’horreur, ordinaire en de pareils récits, soit démentie par là, le procurateur, avant de faire trancher la tête à la jeune martyre, la fit plonger dans une cuve pleine d’eau, dans l’espoir qu’elle y étoufferait. Ne serait-ce pas le souvenir confus du fossé plein d’eau que César fit creuser qui se refléterait dans ce détail de la légende ? Du reste, la légende de sainte Marguerite reproduit trait pour trait celle de sainte Reine.