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belle armure, s’élança sur son cheval de bataille richement caparaçonné et se dirigea seul vers le camp romain. Bientôt il arriva en vue du proconsul. Alors il fit décrire à sa monture trois cercles avant de s’arrêter à quelques pas de César étonné ; puis, il mit pied à terre, et, déposant ses armes aux pieds du vainqueur : « J’étais fort, dit-il ; plus fort que moi, tu m’as vaincu, » et il attendit en silence. En cette circonstance, César se montra inférieur à lui-même. Bien loin de témoigner quelques égards à son ennemi malheureux, genre de délicatesse qui n’était nullement inconnu à l’antiquité, qu’un Alexandre, un Scipion, un Pompée, se fussent fait un point d’honneur d’observer, il l’accabla d’injures et le fit charger de fers.

Transféré à Rome, Vercingétorix fut plongé dans les profondeurs de la prison Mamertine sur la pente inférieure du Capitole. Il y végéta six ans, six longues années, pendant lesquelles César écrasa sous les coups de sa prodigieuse fortune tous ceux qui auraient pu faire échec à sa toute-puissance. Pompée, son ancien allié, Cn. Pompée, Labienus, son lieutenant favori du temps des guerres gauloises, Caton d’Utique, succombèrent l’un après l’autre sous ses armes victorieuses. La dernière égorgée fut la liberté romaine. En 46, vainqueur partout, idole de la plèbe dont il avait flatté les passions et assouvi les rancunes, il se fit décerner les honneurs du triomphe. Les fêtes durèrent quatre jours, et la première journée fut consacrée à célébrer la conquête de la Gaule. Le long de la Voie sacrée, on vit défiler une interminable procession de soldats portant des écussons où l’on pouvait lire les noms de tous les peuples gaulois subjugués par le triomphateur. Suivaient les images du Rhône, du Rhin et de l’Océan enchaînés. Sur un char traîné par quatre chevaux blancs se tenait debout le glorieux César, vêtu de pourpre, acclamé par cent mille voix. En avant du char marchait un prisonnier, les mains liées, conduit par des licteurs et reconnaissable seulement à ses vêtemens gaulois. C’était Vercingétorix, l’ex-brenn de la Gaule soulevée au nom de la liberté. Arrivé près du Forum, César fit un signe aux licteurs. Ceux-ci emmenèrent leur prisonnier et le précipitèrent dans un caveau souterrain dépendant de la prison Mamertine. Là se trouvaient des esclaves porteurs de torches. On le fit agenouiller devant un billot, une hache se leva et fit rouler sur le sol la tête de notre noble compatriote. Et pendant que César montait majestueusement la pente qui menait au temple de Jupiter capitolin, les bourreaux, ayant accroché à des piques le corps palpitant du martyr, l’exposèrent à la foule battant des mains et hurlant de joie.

Un curieux rapprochement, dont on ne s’est avisé que de nos jours, a permis de s’assurer que le pauvre peuple écrasé par