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depuis deux mois a pris chaque jour un caractère et des proportions plus redoutables. Une première fois, dès le 20 et le 21 juillet, les Russes se sont heurtés contre Plevna, placée désormais sous la garde d’Osman-Pacha : ils ont échoué dans une affaire qui pouvait passer encore pour une échauffourée et où ils perdaient néanmoins 3,000 hommes. Une seconde fois, le 30 et le 31 juillet, les généraux du tsar, impatiens de réparer un premier échec, ont engagé une attaque plus complète : ils ont essuyé une défaite plus signalée et plus sanglante encore que la première, qui a coûté aux assaillans près de 8,000 hommes. C’est la première grande bataille perdue. Décidément, c’était pour les Russes un avertissement des plus graves, fait pour les éclairer sur le danger de leur système militaire, de la dispersion de leurs forces et de l’incohérence de leurs opérations. Ils ont senti aussitôt la nécessité de remettre un peu d’ordre dans leur action, de se concentrer.

Sans abandonner entièrement les Balkans, dont ils ont persisté à défendre un dernier passage, le col de Chipka, contre Suleyman-Pacha, ils ont distribué leur armée en Bulgarie en deux groupes : l’un, sous le tsarévitch, chargé de faire face au quadrilatère, au besoin à Méhémet-Ali, et de bloquer Roustchouk, — l’autre composé de tout ce qu’ils ont pu réunir et destiné à rester devant Plevna, à poursuivre coûte que coûte l’enlèvement de cette place improvisée. Ils ont mis six semaines à ce travail, attirant à eux l’armée roumaine qu’ils avaient d’abord un peu dédaignée, essayant d’investir à demi la place, accumulant les moyens militaires ; mais ils ont eu affaire à un homme qui n’a pas lui non plus perdu son temps. Avec une activité, une intelligence et une vigueur qui dénotent la présence au camp ottoman d’un homme de guerre et d’un habile ingénieur, Osman-Pacha s’est cuirassé de fortifications nouvelles, de lignes redoublées de retranchemens et de redoutes. Il n’a pas perdu le mois qui lui a été laissé, et lorsque le 11 et le 12 septembre, après quelques jours d’un bombardement furieux, les Russes ont cru le moment venu de tenter enfin la grande attaque, ils ont encore et plus que jamais échoué. L’assaut a été formidable et malheureux. Russes et Roumains, dans ce tourbillon sanglant, ont fait de leur mieux ; ils ont même enlevé une redoute, celle de Grivitza, qu’on croyait être la clé de la défense ; seulement ils se sont aperçus, après avoir pris Grivitza, qu’au-delà il y avait des travaux plus menaçans encore. Un des plus jeunes et des plus brillans officiers du tsar, Skobelef, sur un autre point d’attaque, avait réussi à enlever quelques redoutes ; il n’a pu les garder le lendemain contre un retour irrésistible des Turcs. On a perdu plus de 15,000 hommes à peu près pour rien. Osman-Pacha n’a été ni forcé ni cerné ; il reste même assez libre dans ses communications pour avoir reçu tout récemment un convoi considérable, renforts, vivres et munitions, que les Russes n’ont pu intercepter. Plevna reste intacte devant