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maîtres de la Bulgarie, qu’ils se disposaient même à organiser. Ils ont paru n’avoir d’autre stratégie que d’aller en avant, sans regarder derrière eux, sans tenir compte de ce qu’il y avait sur leurs flancs, du côté de Widdin ou du côté du quadrilatère, Roustchouk-Silistrie-Choumla-Varna. Une de leurs colonnes, sous les ordres d’un chef audacieux, le général Gourko, s’est élancée sur les Balkans, qu’elle a franchis, allant jusqu’à Kazanlick, croyant déjà tenir la route d’AndrinopIe. Soit impéritie du vieux Abdul-Kérim, enfermé à Choumla, soit indolence turque au début d’une campagne, soit peut-être calcul, les Russes, à la vérité, n’avaient rencontré jusque-là qu’une résistance assez décousue et assez molle : c’est ce qui les a perdus en les jetant dans le piège de cette marche hardie et encore plus imprudente que hardie, qui a été l’étonnement du monde militaire européen. Pendant qu’ils s’aventuraient avec cette imprévoyante témérité et qu’ils dispersaient leurs forces, les Turcs se sont, pour ainsi dire, ressaisis devant l’ennemi. Un nouveau généralissime, Méhémet-Ali-Pacha, est allé à Choumla reprendre le commandement des mains de l’inactif Abdul-Kérim ; Osman-Pacha a pu rassembler silencieusement son corps d’armée du côté de Widdin pour entrer en action ; Suleyman-Pacha, revenant du Monténégro, qu’on a laissé à lui-même, s’est présenté au sud des Balkans, au-devant de Gourko, qu’il a pu arrêter, et en peu de jours le coup de théâtre le plus imprévu a été accompli. Ce qui semblait compromettre les Turcs est peut-être ce qui les a le mieux servis. Ils sont sortis de leur inaction d’un moment, et au lieu de pouvoir soutenir l’offensive qu’ils avaient prise, les Russes, refoulés et décontenancés, se sont trouvés réduits à se défendre, ayant à tenir tête tout à la fois à Suleyman-Pacha, arrivant sur leurs traces aux défilés de Chipka, dans les Balkans, à Osman-Pacha, paraissant sur la droite de leur ligne d’opérations, à Méhémet-Ali, débouchant du quadrilatère. C’est le résumé de la situation militaire en Bulgarie, de cette campagne déjà pleine de si étranges et de si sanglantes péripéties.

Rien certes de plus dramatique que cette série d’opérations engagées depuis trois mois, depuis deux mois surtout entre le Danube et les Balkans. Une des premières fautes des Russes, au moment où ils ont pris pied sur la rive droite du Danube, à Sistova et à Nicopolis, a été, à ce qu’il semble, de ne pas saisir l’importance de la petite ville de Plevna, de cette ville inconnue hier encore, maintenant illustrée par de si terribles actions de guerre. Située à quelque dix lieues au sud de Nicopolis, sur la rivière du Vid, Plevna n’a pas seulement l’avantage de positions puissantes, elle est un nœud de communications avec Sofia vers le sud, avec Widdin vers l’ouest. Les Russes ne s’en sont aperçus que tardivement par l’apparition d’une force dont ils ne soupçonnaient pas même l’existence. Cette force, c’était l’armée d’Osman-Pacha !

Alors a commencé autour de la malheureuse ville cette guerre qui