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liés à ceux de tous les musulmans de l’empire qui n’ont pas le bonheur d’être valis, mutessarifs, caïmacans ou fermiers de l’impôt ? Mahométans et chrétiens n’ont-ils pas tous de communs griefs ? Ne souffrent-ils pas des mêmes abus, des mêmes tyrannies et des mêmes pachas ? Encore est-il permis de dire que ce sont les musulmans qui ont le sort le plus dur ; non-seulement ils doivent leur sang à l’état, mais la diplomatie étrangère ne s’est jamais occupée d’eux ni de plaider leur cause. Toutes ces brebis reprochent avec justice à leur berger qu’il les tond de trop court. L’essentiel est qu’elles aient le droit de parler et de se plaindre, et le seul remède à leurs maux est que le berger ait des comptes à leur rendre, que tous ses actes soient soumis à un contrôle efficace et attentif. Cette garantie a été accordée aux sujets de la Sublime-Porte par la constitution proclamée solennellement le 23 décembre 1876 ; cent quatre coups de canon ont été tirés en son honneur. Cent coups de canon ne prouvent rien, et les salves d’artillerie ne servent souvent qu’à jeter de la poudre aux yeux. Le statut ottoman contient plus d’un article destiné à produire un effet purement décoratif ; ce n’est pas de la politique, c’est du théâtre. Il est difficile de croire que la Turquie puisse être transformée d’ici à demain en un pays parlementaire ; ce régime ne convient pas à tout le monde, il n’a guère profité à la Roumanie ni même à la Grèce, et il est douteux que les Turcs en fissent un meilleur usage. Il n’en est pas moins vrai que la nouvelle charte ottomane, en établissant une chambre élective, a créé dans l’empire un tribunal chargé de connaître des actes du gouvernement, de donner une expression publique aux doléances des gouvernés et de flétrir les méfaits des concussionnaires. Que ce tribunal prenne ses fonctions au sérieux, l’omnipotence du khalifat se verra forcée de compter avec ses curiosités légitimes et avec son blâme. C’est aux chrétiens d’Orient, élevés au rang d’électeurs, d’employer le droit qu’on leur octroie au redressement de leurs griefs. Si trompeuses que soient les constitutions, elles le sont moins que les promesses de l’étranger, et quand on n’a pas ce qu’on aime, il faut tâcher d’aimer ce qu’on a, il faut surtout apprendre à s’en servir.

— Vaine espérance ! répliquent les Turcophobes. À supposer que la fortune des batailles favorise jusqu’au bout le croissant, ses victoires n’auront pas d’autre effet que d’enfler son orgueil, d’exalter à l’excès ce chauvinisme qui est commun aux portefaix de Constantinople comme au sultan, aux pachas maigres ou gras, à la jeune comme à la vieille Turquie. N’ayant plus rien à craindre de la Russie, la Porte se refusera à toute concession. Sa charte était destinée à tromper l’Europe ; quand elle n’aura plus besoin de tromper personne, elle dira : Ainsi fiait la comédie ! et le rideau tombera. — Les philottomans se plaisent à croire que la Porte se fait une idée plus juste de sa situation, qu’elle