fut tiré au sommet de l’île, qui apparut bientôt illuminée jusque dans ses moindres replis par d’innombrables feux de Bengale. De leur côté, tous les navires en rade, s’étant placés sur une double ligne, firent passer la flottille des excursionnistes entre deux haies continues de fusées, de chandelles romaines et de bouquets multicolores. — Pendant tout le séjour du prince, il n’y eut si petite localité qui ne tînt à honneur de célébrer son passage par une illumination et un feu d’artifice. Si on y joint le total des salves qui retentirent partout où l’on trouva un canon disponible, on peut s’imaginer à quelle somme on arriverait pour peu qu’on cherchât à calculer les fonds ainsi dépensés en fumée durant les six mois du voyage.
De Bombay, le prince fit également une pointe sur Baroda, où le jeune gaikwar lui offrit une réception vraiment royale. Quant à la population, elle resta assez froide ; mais les foules de l’Inde sont en général fort sobres de démonstrations, qu’elles regardent comme un manque de respect. Presque partout, sauf à Bombay et à Candy, le prince ne fut accueilli que par un religieux silence ; il est vrai qu’immédiatement après son passage le remous de la cohue et l’intensité des conversations dénotaient suffisamment la surexcitation de l’intérêt populaire.
La capitale des gaikwars est célèbre pour ses jeux de cirque renouvelés de l’antique. M. Louis Rousselet, qui visita Baroda sous son dernier souverain, nous a donné, dans l’Inde des Rajahs, une description indignée de ces amusemens féroces, où même la vie humaine n’était pas respectée. Maintenant, comme on pouvait s’y attendre, les choses se passent en douceur, et dans les combats d’animaux livrés sous les yeux de nos voyageurs il n’y eut même pas de sang répandu entre les éléphans, les rhinocéros, les buffles et les béliers qui s’y livrèrent des assauts plus ou moins courtois ; les feuilles religieuses d’Angleterre n’en jetèrent pas moins les hauts cris à la nouvelle que l’héritier de la couronne avait sanctionné de sa présence une pareille dérogation à la politique des sociétés pour la protection des animaux. Le lendemain eut lieu une chasse au chitar. Les chitars, ou guépards, sont une espèce de panthère (felis jubata) qu’on dresse à courir l’antilope. Le chitar, qu’on promène les yeux bandés sur une charrette tant qu’un troupeau d’antilopes se trouve en vue, est à peine mis en liberté qu’il fait choix de sa victime, la rejoint en quelques bonds et la saisit à la gorge. Pour l’amener à lâcher prise, il faut lui rebander les yeux et lui tremper le museau dans une large cuiller de sang frais. Ce fut également dans les environs de Baroda que nos voyageurs eurent leur première partie de pig-sticking, littéralement « embroche-sangliers, » où l’on poursuit ces animaux à cheval avec de longues