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aveu cynique que nous n’oublierons jamais, préférer pour des motifs politiques ce qu’il y avait de pire au point de vue stratégique.


IV

Il n’est pas surprenant en tout état de cause qu’il fallût du temps aux organisateurs de l’armée de secours pour réunir et approvisionner une multitude que César évalue à 240,000 hommes de pied, plus de 8,000 cavaliers, et qui, lors même qu’elle fût loin probablement d’atteindre un tel chiffre, n’en était pas moins très nombreuse. Nous savons avec quelle impatience Vercingétorix, bloqué dans Alise, comptait les jours. Le temps est long à qui voit arriver son dernier morceau de pain. Un jour pourtant il sentit l’espoir remonter dans son cœur. Il découvrit que l’armée romaine travaillait en hâte à une seconde ligne de circonvallation, mais cette fois en arrière du camp et évidemment pour se défendre contre une armée qui viendrait l’assaillir du dehors. L’armée de secours était donc en voie de formation ! La Gaule entière allait donc se ruer sur son implacable ennemi et l’enfermer à son tour dans un cercle infranchissable !

Mais cette lueur d’espoir ne remédiait pas à la terrible étreinte de la famine. Les trente jours étaient écoulés. Le découragement gagnait les assiégés. Un conseil des principaux chefs se rassembla pour aviser. Les uns parlaient d’une sortie désespérée, où l’on mourrait du moins les armes à la main. D’autres murmuraient le mot de reddition. Ce fut un chef arverne du nom de Critognat qui releva les courages, et son discours, reproduit par César, qui paraît avoir toujours été très bien instruit de ce qui se passait par les agens secrets qu’il entretenait dans la place, mérite qu’on le rapporte en entier. Il contient d’ailleurs des renseignemens du plus haut intérêt sur la situation et l’histoire antérieure de la Gaule.

« Je n’ai rien à dire à ceux qui donnent le nom de reddition à la plus honteuse des servitudes. Je ne les compte pas parmi les citoyens ; je n’entends pas même qu’on les admette à délibérer. Quant à ceux qui voudraient la sortie, c’est à eux que je m’adresse. Leur avis, vous le reconnaissez tous, semble rappeler la valeur de nos ancêtres ; mais, moi, je dis que ce n’est pas de la valeur, je dis que c’est de la mollesse de ne pouvoir supporter quelques jours de disette. On trouve plus facilement des hommes s’offrant volontairement à la mort que des hommes subissant patiemment la souffrance. Moi aussi, j’approuverais la sortie, — car l’honneur, selon moi, passe avant tout, — si je ne voyais au bout d’autre perte que celle de notre vie. Mais, avant de prendre une résolution, pensons à la Gaule entière