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des cordes auxquelles il ne nous avait pas habitués. Il s’était jusqu’alors contenté d’effleurer les choses du cœur ; cette fois il a tenté de descendre aux dernières profondeurs de la passion. N’aurait-il pas plus sagement fait de s’en tenir à ces cordes moyennes qu’il sait frapper avec tant de douceur et d’habileté ? Le regret est d’autant plus vif qu’il y a, même dans Madcap Violet, nombre de chapitres où l’ironie la plus fine étincelle, et que seul M. William Black pouvait écrire. Pourquoi faut-il que ces trésors se trouvent perdus dans les dédales d’une fable dont le moindre défaut est l’invraisemblable absurdité ! M. William Black se moque quelque part de ces jeunes gens fraîchement sortis de Cambridge ou d’Oxford, lesquels se sentent également capables de montrer au chancelier de l’échiquier comment il faut s’y prendre pour disposer un budget ou d’enseigner au romancier l’art qu’il a étudié pendant dix ans de sa vie. En d’autres termes, il n’aime pas la critique et n’a pas l’air de croire qu’elle ait rien à lui apprendre. Peut-être un jour changera-t-il d’avis sur ce point délicat. En ce cas, il n’aura pas été inutile de lui donner le timide conseil d’éviter les digressions et les descriptions dont le développement exagéré fait perdre de vue les personnages et le sujet même. Après tout, le sport, puisque aussi bien c’est de lui qu’il est question, a ses journaux et ses recueils. Il n’est pas défendu sans doute de l’introduire dans la littérature d’imagination ; encore faut-il le faire avec une certaine réserve. C’est une belle chose que la pêche au saumon et la chasse à l’oie d’Ecosse ; mais ne sont-ce pas là de ces plaisirs dont le récit, quoi qu’on fasse, demeure toujours languissant, surtout quand il se prolonge pendant une longue suite de pages. Si le roman n’est pas destiné à célébrer le souvenir de passe-temps de ce genre, il ne gagne pas beaucoup non plus à devenir un guide de voyageurs ; or, dans son amour de la nature, M. William Black, sans y penser, en vient quelquefois à composer des chapitres que l’on prendrait, n’était l’élégance du style, pour des feuillets détachés de quelque manuel à l’usage des amateurs d’excursions. C’est ainsi que dans les Étranges aventures d’un Phaéton, l’auteur se borne uniquement à décrire tout ce qu’une famille qui voyage en voiture a remarqué sur la route de Londres à Edimbourg. On dit que cette idée ingénieuse a obtenu un grand succès. Il ne serait pas à souhaiter que le conteur écossais se prévalût de cet avantage pour s’engager dans une voie qui ne saurait mener bien loin : il finirait par y gâter son beau talent et par y perdre quelque chose de sa légitime réputation,


LEON BOUCHER.