Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son repentir à force de travail, de soumission et de désintéressement, il pourra reparaître devant sa femme, la princesse de Thulé lui sourira comme autrefois dans le petit parloir de Borva. Quant au lecteur, tout heureux qu’il soit de cette réconciliation, il ne laissera pas d’éprouver quelques craintes pour l’avenir du ménage. La seule pensée capable de le rassurer, c’est que les deux époux, instruits par l’expérience, ne quitteront les Hébrides que lorsque le pinceau de Lavender en aura reproduit tous les sites pittoresques. Ils n’iront à Londres que pour y trouver Ingram, qui s’est marié dans l’intervalle ; mais ils n’y verront plus la bonne tante, mistress Lavender, qui a quitté ce monde « comme Hadrien, et comme Auguste » et comme Marc-Aurèle lui-même.


Ce qui donne du prix aux ouvrages de M. William Black, c’est une facilité pleine de grâce, une élégance également éloignée de la recherche et de la banalité. En Angleterre comme ailleurs, ces qualités deviennent assez rares pour qu’on les signale plus volontiers quand on les rencontre dans d’aussi heureuses proportions. Si M. William Black n’a pas ordinairement le tour dramatique que l’on trouve chez d’autres, s’il ne frappe pas son public par la richesse de l’intrigue ou par la variété des combinaisons, il excelle en revanche à donner à tout ce qu’il touche l’apparence de la réalité sans jamais tomber dans la platitude. Ces différens mérites se font remarquer dans ses romans assez nombreux déjà, et, quelles que soient les préférences du lecteur, il est forcé de reconnaître que dans tous domine une grande distinction jointe à beaucoup de savoir-faire. L’auteur d’Une Fille of Heth ne s’est pas confiné à jamais dans les Highlands. La « terre des gâteaux d’avoine » est son pays, et il y règne en maître ; mais il a prouvé plus d’une fois qu’il est aussi familier avec les clubs de Pall Mall qu’avec les cimes du Mealasabhal, Il n’est pas plus embarrassé quand il s’agit de tracer un caractère purement anglais ou de décrire un paysage de Cornouailles. Il y a par exemple une très grande différence entre le sujet de Three Feathers et celui de Madcap Violet, et pourtant la même plume s’y décèle.

Le premier de ces deux récits a été très diversement apprécié. Parmi les critiques, les uns l’ont trouvé détestable, les autres excellent. L’auteur, fort empêché entre ces jugemens contraires, avoue qu’il a, suivant le conseil de ses amis, adopté le plus favorable. Quoi qu’il en soit, bonne ou mauvaise au fond, cette étude de mœurs provinciales a dans la forme toute la fantaisie et toute la légèreté qui font l’originalité de M. William Black. On pourrait en dire autant de Madcap Violet, si dans ce roman, le dernier qui soit sorti de ses mains, l’aimable écrivain n’avait voulu faire résonner