Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quantité de vivres nécessaire. Dans d’autres circonstances, de pareilles objections eussent eu de la valeur, mais dans un pareil moment n’étaient-elles pas évidemment dominées par l’intérêt suprême du salut public ? On doit surtout noter cette crainte des oligarques de ne plus « discerner aisément leurs hommes, » comme si la délivrance de la patrie eût pesé d’un poids moindre dans leur esprit que la peur d’affaiblir leur autorité sur leurs cliens et la plèbe habituée à les suivre. César nous a conservé la liste par groupes de cantons des contingens levés sur toute la surface du territoire, et, bien qu’il ait très probablement enflé les chiffres dans l’intérêt de sa renommée, cette liste est instructive, tant par les proportions qu’elle suppose dans les forces respectives des cantons confédérés, que par les intentions et les précautions qu’elle révèle chez ceux qui la dressèrent.

Ainsi nous voyons paraître en premier lieu le contingent éduen, comprenant aussi celui des cantons qui reconnaissaient la suprématie éduenne. Ce contingent est porté à 35,000 combattans. Immédiatement après se présente le contingent arverne, comprenant aussi les recrues des cantons alliés ou cliens, entre autres les Cadurques. Son chiffre est précisément le même que celui des Eduens, 35,000 hommes. Il est évident qu’en principe on a consenti à l’égalité des forces fournies par les deux cantons qui pouvaient prétendre à l’hégémonie. Mais les proportions attribuées aux autres cantons vont détruire cette égalité au profit du parti oligarchique. Le groupe des Séquanes (Franche-Comté), des Senons (Sens), des Bituriges (Berry), des Santons (Saintes), des Carnutes (pays Chartrain) fournira seulement 12,000 hommes. Les Bellovakes (Beauvoisis) sont taxés à 10,000 hommes ; les Lemovikes (Limousin), les Pictons (Poitou), les Turons (Tours), les Helves (Ardèche), ensemble à 8,000. Les Suessions (Soissonnais), les Ambiani (Amiennois), les Mediomatrikes (pays Messin), les Pétrocoriens (Périgord, qu’on est bien étonné de voir figurer dans ce groupe-là), plusieurs cantons belges fourniront ensemble seulement 5,000 hommes. C’est entre trois et cinq mille qu’on a fixé le contingent de plusieurs autres groupes de cantons belges, entre autres des Véliocasses (Vexin, Rouen), dont on aurait proportionnellement attendu davantage, et tandis que les Rauraques (Haut-Rhin, Bâle, Argovie) et les Boïens (entre la Loire et l’Allier) doivent donner 30,000 combattans, la grande confédération armoricaine, y compris les Calétes (Caux), n’en enverra pas plus de 6,000. Un critique allemand trouverait certainement qu’il y a eine Tendenz dans une pareille répartition, et il ne lui serait pas difficile d’en déterminer la direction.

C’est surtout cette disproportion frappante entre le contingent de