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un mauvais tour qu’il venait de jouer au jardinier. Il se dirigea vers le cabinet de son père avec l’intention de dresser lui-même son acte d’accusation et de réclamer le châtiment. Il lui semblait à ce moment-là qu’une sentence de bannissement aurait été la bienvenue. »

Entre le jeune garçon qui va peu à peu, sous l’empire d’un amour qu’il ignore encore, se dépouiller de ses enfances, et l’homme du monde qui l’entoure des attentions les plus délicates, il faudra que miss Cassilis choisisse un jour, si ce choix n’est déjà fait dans son cœur. D’un côté c’est la poésie et l’inconnu, de l’autre la réalité d’une affection honnête et naïve. Ici c’est un écolier mal dégrossi, mais débordant de sève, plein de courage et capable de faire son chemin dans la vie, et là c’est le descendant d’une grande race, un homme qui ne s’habille, ni ne pense, ni ne parle comme le font les autres hommes, qui vit dans un certain mystère et conserve, sous des apparences insouciantes et frivoles, une âme aimante et généreuse. Lord Earlshope a nourri autrefois de nobles ambitions, mais il a fini par se convaincre que l’intelligence nécessaire à la réalisation de ses rêves lui avait été refusée. Tory par la naissance, radical par la sympathie, il est en guerre avec lui-même sur toutes les grandes questions de l’existence humaine et croit à vingt-sept ans que sa vie est manquée. Aussi dans son découragement a-t-il renoncé à l’action pour la contemplation et se contente-t-il d’assister en curieux à sa propre destinée. Quelques mots tombés de sa bouche, quelques confidences presque involontaires, ont suffi pour ouvrir à miss Cassilis des horizons nouveaux, pour éveiller dans son âme ce sentiment indéfinissable de pitié curieuse qui si souvent sert de prélude à un autre sentiment moins désintéressé. Ce qui rend ce noble voisin plus dangereux, c’est qu’il ne demande rien et n’a pas même l’air de se soucier de rien obtenir. Il ne lui a pas fallu beaucoup de perspicacité pour s’apercevoir que les souris blanches et les joyeuses expéditions de son cousin ne fournissent pas à Coquette des distractions inépuisables.

Dans l’austérité du presbytère, entre cinq garçons sans cesse occupés à inventer de nouvelles niches et un oncle toujours penché sur les dogmes les plus abstrus de la théologie, la jeune fille s’ennuie. Afin de la divertir, lord Earlshope met son yacht à la disposition de M. Cassilis, et l’on part pour une croisière enchantée. Le pasteur a fait taire non sans peine les scrupules que soulève dans sa conscience l’idée d’un voyage dont le plaisir est le seul objet, et ses yeux fatigués par l’étude se reposent bientôt avec délices sur cette mer parsemée d’iles que son enthousiasme compare à l’Éden, au jardin du Seigneur. On vogue vers le nord, jetant l’ancre aux endroits favorables pour chasser le veau marin, l’oie sauvage ou le héron ; on