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la mère des abominations qui est assise sur les sept collines et qui raille les saints. C’est bien pis encore quand on apprend que Coquette a été élevée dans la religion catholique. À ce coup, le ministre lui-même, malgré son calme, se trouve désarçonné, d’autant plus que la nouvelle venue, s’apercevant de l’émoi qu’elle a causé par ses aveux, déclare avec candeur que toutes les églises lui sont bonnes et qu’elle croira ce que l’on voudra. Cette profession de foi épouvante jusqu’aux jeunes cousins, qui se demandent avec terreur s’ils n’ont pas sous les yeux une amie, peut-être une alliée du pape de Rome. Seul le Courlis, à cet instant critique, prend la défense de l’étrangère. Assez disposé dans son patriotisme à mépriser cette parente inconnue qui lui tombe du pays fantastique où l’on mange des grenouilles, il a pitié de sa confusion et s’enhardit jusqu’à soutenir que la meilleure religion est celle qui consiste à faire le bien autour de soi : assertion audacieuse qui lui vaut une réprimande de son père, et de sa cousine un regard chargé de tant de reconnaissance que pour un autre semblable il aurait été capable de renier ses croyances les plus enracinées et de traiter de fable grossière la conspiration des poudres même. Telle est la première conquête de miss Cassilis. A partir de ce moment, elle trouvera chez le grand gaillard écossais, qui la contemple avec un mélange d’étonnement et d’affection, un protecteur, et plus encore. Dans le monde tout nouveau pour elle où le destin l’a jetée, c’est lui qui la guidera. Il lui apprendra qu’il ne faut ni jouer du piano, ni se promener dans les champs le dimanche, ni s’agenouiller au temple en se couvrant le visage de ses mains. Il lui fera même les honneurs du troisième tome de l’historien Josèphe, un des rares ouvrages dont la lecture soit permise le jour du sabbat.

« — Avez-vous lu Josèphe ? demanda-t-il à Coquette un soir où, contrainte au repos absolu, elle contemplait tristement le ciel gris à travers les vitres de la fenêtre.

« — Non, répondit-elle. « — C’est un livre de grande valeur, dit le ministre à l’autre bout de la chambre où il était assis dans son fauteuil, car nous y trouvons un témoignage de l’authenticité des saintes Écritures venant d’un homme qui n’était point un défenseur de la vérité.

« Coquette approcha sa chaise de la table. Son cousin mit avec précaution le livre devant elle. Elle regarda, et que vit-elle ? Deux souris blanches. Le Courlis avait audacieusement extrait le corps du volume, ne laissant que les marges des pages et la couverture. Dans la cavité reposaient les deux petits animaux, à l’éducation desquels il consacrait les après-dîners du dimanche, tandis qu’on le croyait plongé dans une lecture attentive. »

Le tome troisième de l’historien juif n’est pas la seule