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(stimuli), chausse-trappes d’un pied de long garnies de pointes en fer ; les « lys, » trous profonds de trois pieds, disposés en quinconces : au fond de chaque trou s’élevait un pieu durci au feu, des broussailles masquaient l’ouverture. Ce nom de lys provenait de ce que la coupe transversale de ces petits ouvrages affectait celle d’un calice aminci par le bas, du milieu duquel saillait le pieu comme un pistil du cœur de la fleur. Enfin venaient les cippes, ou troncs d’arbres enfoncés en terre, taillés en pointes et présentant par leur réunion quelque ressemblance avec les palissades modernes.

Nos Gaulois, qui n’avaient jamais fait la guerre dans de telles conditions, ne restèrent toutefois pas en arrière en fait d’imagination inventive. Ils s’avisèrent par exemple de remplir de terre une quantité de sacs qui, jetés sur ces pièges perfides, en annulaient aisément les effets. Leurs efforts retardèrent, mais ne purent empêcher l’investissement définitif, Les jours s’écoulaient. Vercingétorix interrogeait en vain l’horizon pour découvrir les signes avant-coureurs de l’armée libératrice. Rien ne paraissait au loin, les vivres diminuaient à vue d’œil. C’était, toutes différences gardées, une situation très semblable à celle de Paris pendant le fatal hiver de 1870-1871.

Si Vercingétorix eût pu savoir comment s’exécutaient les instructions qu’il avait données au moment du départ de la cavalerie, ses inquiétudes eussent redoublé. Il avait ordonné la levée en masse. Tous les Gaulois en état de porter les armes devaient être requis au nom de la patrie en danger de mort, tel était le sens absolu de ses ordres. Il voulait voir les Romains assiégés à leur tour par une armée où le nombre eût suppléé la qualité guerrière. Il comptait sans doute aussi sur l’effet moral d’un pareil soulèvement pour inspirer à l’ennemi l’idée qu’il ne viendrait jamais à bout d’un si grand pays se levant tout entier avec la prétention de conserver par tous les moyens sa vieille indépendance. C’est ainsi que l’unité gauloise eût été fondée pour toujours, cimentée dès la première heure par le sang de tous. Mais, d’après César lui-même, cette grande vue patriotique fut contrariée par l’intérêt oligarchique et particulariste des nobles que la présence du brenn ne contenait plus et qui se gardèrent bien d’adresser à la nation, qu’ils ne reconnaissaient pas comme telle, ces appels passionnés, enthousiastes, qui doivent précéder une pareille mesure. Ils décidèrent qu’au lieu d’appeler aux armes tous ceux qui étaient en état de les porter, on fixerait pour chaque canton un nombre déterminé de combattans. Leurs motifs furent qu’il ne serait pas possible de gouverner une pareille multitude, que les chefs ne discerneraient plus leurs hommes et qu’on ne pouvait calculer la