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despotisme. Les prisons d’état, bien qu’elles n’eussent plus l’horreur des anciens donjons et des abominables oubliettes, n’en furent pas moins une aggravation aux rigueurs de la police.

Si le roi entendait rester le maître de priver quiconque de sa liberté, comme il voyait là un droit régalien, il ne souffrait pas que d’autres que lui ou ses représentans se l’arrogeassent. Aussi ceux qui s’étaient rendus coupables d’un fait de séquestration ou, pour prendre l’expression jadis consacrée, du crime de chartre privée, étaient-ils punis avec la dernière sévérité, de la mort avant l’ordonnance de 1670, qui laissa la fixation de la peine à la discrétion des juges. On se montra aussi fort rigoureux à l’égard des évasions de prison et de ceux qui aidaient à la fuite. Le prévenu qui s’échappait de prison était, dès le XIIIe siècle, réputé convaincu du crime dont il était accusé, et le geôlier de connivence dans le bris de prison, le tiers qui favorisait l’évasion, étaient assimilés au complice du crime imputé au prévenu. Toutefois on se relâcha dans la pratique d’un principe si exorbitant ; on se contenta d’infliger une peine correctionnelle au geôlier et au fauteur de la fuite du détenu.

Au XVIIIe siècle, la détention préventive n’était plus le traitement inhumain que subissait dans un cachot malsain et infect le prévenu sans protecteur et sans influence, deux ou trois cents ans auparavant ; on avait des égards même pour les plus grands criminels. L’avocat Barbier nous dit que le fameux Nivet, qui surpassait encore Cartouche en scélératesse, passa les neuf mois que dura son procès à jouer au volant avec ses gardiens. Le régime des prisons ne différait pas beaucoup alors de ce qu’il est aujourd’hui. Ce qui faisait en ce temps l’odieux de la détention, c’était une prolongation indéfinie et arbitraire, le secret rigoureux auquel on mettait non-seulement ceux qui avaient tenté de s’évader, mais souvent ceux dont on voulait cacher le nom. Barbier nous parle d’un individu qui avait été arrêté portant l’habit de jacobin et dont personne ne put comprendre le baragouin ; on le mit à la Bastille, et il y resta comme oublié trente-deux ans, jusqu’à sa mort arrivée en 1722. Ce prisonnier n’était sans doute qu’un malheureux fou ; mais l’arbitraire de son emprisonnement n’en était pas moins déplorable, car alors les asiles d’aliénés n’existaient pas pour adoucir à ceux qui ont perdu la raison la rigueur d’une réclusion commandée par la sécurité publique. Latude, qui demeura enfermé encore plus longtemps que le pseudo-jacobin, semble avoir eu aussi la cervelle troublée, ce qui ne justifie pas l’injustice de son interminable captivité.

La longueur des procédures, la nécessité de mander des témoins qui habitaient parfois fort loin, en un temps où les communications étaient lentes et difficiles, expliquent la durée qu’avait