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À partir du XIVe et du XVe siècle, l’autorité royale ayant repris en partie, par l’abaissement et la dépossession de la puissance seigneuriale, le caractère auguste et presque sacré qu’avaient la personne et la volonté des empereurs romains, on revint, en ce qui touchait les attentats contre le monarque, à l’ancienne doctrine sur le crime de lèse-majesté. Sous le régime féodal, ainsi que le remarque un savant historien allemand qui a donné un tableau complet de nos vieilles institutions, W. Scbœffner, le crime de lèse-majesté se confondait avec celui de félonie, c’est-à-dire avec un manquement grave aux devoirs nés du contrat féodal ; il entraînait à ce titre la confiscation des biens et la mort. Mais quant à la protection accordée par la loi à sa personne contre les attentats de ses sujets, de ses vassaux, le suzerain n’était pas placé dans une situation différente de celle du seigneur. Les progrès de la monarchie absolue, le principe de la souveraineté de droit divin conduisirent à faire du roi un être à part, une image de Dieu qui représente, ainsi que le dit le jurisconsulte Jousse, dans le gouvernement de ses états, l’autorité que Dieu exerce dans le gouvernement de l’univers, et, pour ce motif, le crime de lèse-majesté devait être regardé comme abominable. « Entre les crimes humains, écrit le vieux criminaliste Charondas le Caron, dans ses annotations à la Somme rurale, le premier et qui mérite plus griefve et atroce punition est celui de lèse-majesté, car d’autant plus que la personne du roy doit être sacrée sainte et vénérable envers les sujets comme le lieutenant de Dieu en son royaume, etc. » Et, comme on ne séparait pas la personne du roi de son autorité, on arriva à comprendre dans le crime de lèse-majesté toute atteinte et tout préjudice portés à l’autorité royale, tout trouble de nature à nuire au bon ordre de l’état, à la personne et aux fonctions des magistrats et de ceux en général qui représentaient le pouvoir souverain. Cette extension abusive du sens du mot s’était déjà produite au temps des empereurs romains, et grâce, à l’élasticité de la définition du crime de lèse-majesté, on arma le pouvoir des châtimens les plus terribles contre ceux qui tenteraient de le combattre, de lui résister. Cependant on ne pouvait sans une monstrueuse injustice frapper avec la même rigueur impitoyable le régicide et le simple insubordonné, le conspirateur et l’imprudent qui avait laissé échapper quelques paroles injurieuses contre le prince. On fit donc des distinctions ; on établit deux classes dans les crimes de lèse-majesté ou, comme on disait, deux chefs. Les crimes du premier chef, qui se partageaient eux-mêmes en deux catégories, comprirent le meurtre ou tentative de meurtre du prince et de sa famille et les attentats contre la souveraineté et la sûreté de l’état. Au second chef répondaient les offenses et les préjudices à l’honneur et à l’autorité du roi ; dans cette classe vinrent se placer