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coupable, elle ne sut point toujours équitablement en caractériser le degré de culpabilité. Le salutaire principe de l’égalité devant la loi demeure absent de notre vieille législation criminelle ; si la peine se mesurait à la gravité du crime, elle se mesurait aussi à la condition de celui qui l’avait commis. Ce n’est qu’en certains cas, et exceptionnellement, que l’on commença à se conformer à la règle morale qui veut qu’on n’ait pas, dans le jugement des coupables, des poids différens pour peser des méfaits identiques. La balance de la justice semblait affolée pour les uns, faussée pour les autres, et le juge, au lieu de consulter simplement la direction du fléau, jetait les yeux sur les plateaux et estimait celui qui trébuchait d’autant plus chargé que le crime qu’il s’agissait de peser avait pour auteur un homme plus misérable.

D’ailleurs le même crime n’amenait pas toujours ceux qu’on en accusait devant le même juge. Les tribunaux variaient suivant la condition des prévenus et des plaignans bien plus que suivant la nature du délit ou du crime. Il y avait le tribunal de droit commun, et le tribunal d’exception et de privilège. Sous l’ancien régime, c’était à qui, parmi les gens ayant quelque avoir, échapperait au droit commun et se ferait admettre dans la classe des privilégiés. Il en était en cela de la justice comme des impôts et des droits attachés à la terre. On tenait à ne pas être justiciable des tribunaux qui connaissaient des affaires du vulgaire, affaires civiles comme affaires criminelles. Les nobles, accusés de crime, faisaient porter leur cause directement au parlement, et les affaires qui touchaient au point d’honneur entre gentilshommes eurent une juridiction spéciale à la Table de marbre, le clergé avait ses tribunaux, dont relevaient les clercs et dont la jurisprudence différait de celle des cours laies. Mais on alla plus loin : des individus obtinrent, à raison de leur condition, de plaider, tant en demandant qu’en défendant, devant certains juges et d’y faire évoquer les causes où ils étaient intéressés. C’est ce qui avait lieu en vertu des lettres dites de committimus. Le roi autorisait ainsi des privilégiés à se soustraire à la justice ordinaire pour se faire juger par une justice exceptionnelle, celle des maîtres des requêtes de l’hôtel du roi, et l’abus de ces lettres, déjà en usage au commencement du XIVe siècle, devint tel qu’un siècle plus tard on dut en restreindre et en régler l’emploi. On ne permit plus d’accorder de pareilles lettres en matière de haute police et de grand criminel, mais alors on recourut aux commissions royales, commissions judiciaires spéciales qui se multiplièrent à dater du XIVe siècle et enlevaient les accusés à leurs juges naturels. On vit ces commissions reparaître avec quelques modifications sous les noms de chambre ardente, chambre de l’arsenal ; les juges qui y siégeaient étaient choisis tout exprès. A la différence