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internationale ne pouvait manquer d’avoir des journaux : l’un des principaux est l’Étendard du travail, rédigé à New-York par un Irlandais nommé J.-P. Mac-Donnell ; mais le plus répandu est le Travail, fondé récemment pour être l’organe officiel du parti des travailleurs, et placé sous la direction d’un des membres du comité central, Stephen Pearl Andrews. Pour faire juger de l’esprit de ce journal, il suffira de faire connaître comment il a apprécié les événemens dont les États-Unis viennent d’être le théâtre. Dans un « avertissement à nos concitoyens, » M. Andrews déclare que « notre forme actuelle de civilisation est absolument finie, » que le travailleur n’y peut obtenir justice, mais qu’il est résolu à remettre les choses en ordre, coûte que coûte. Il y a eu un malentendu entre les soldats et les ouvriers, mais ce malentendu ne peut être de longue durée, parce que le soldat est recruté parmi les travailleurs ; il est le travailleur en armes, et il fraternisera avec les travailleurs aussitôt qu’on lui aura fait toucher le fond de notre civilisation, et démontré qu’elle est à bout. Si les riches et les grands de ce monde sont bien avisés, ils se hâteront de restituer au gouvernement son rôle de providence sociale « avant que le règne du sang arrive, » car New-York renferme tout ce qu’il faut « pour renouveler en huit jours toutes les horreurs de la révolution française. » Dans un autre article, un certain Madox, qui est également un des coryphées de l’Internationale, s’adresse aux miliciens et leur demande quand ils cesseront de massacrer les travailleurs et « de s’acquitter de la triste besogne que le capital attend d’eux et pour laquelle il les paie. » Les hommes qu’ils ont tués sont « des martyrs qui se sont offerts en holocauste pour la patrie. » Ils seront vengés, car le temps des réformes par la voix du scrutin est passé. Il faudra étouffer le monstre, c’est-à-dire le capital, pour lui faire lâcher prise.

Il n’est point de lecteur français pour qui ces beaux raisonnemens et ces menaces à l’adresse de la société ne soient de vieilles connaissances. On croit lire une traduction de quelque journal de 1848.

Nous venons de faire connaître l’état de détresse du plus grand nombre des ouvriers américains, et les influences dangereuses qui étaient à l’œuvre au sein de ces masses aigries par la souffrance ; la grève des ouvriers des chemins de fer fut l’étincelle qui détermina l’explosion.


III

L’industrie des chemins de fer, aux États-Unis, traverse une crise dont quelques chiffres suffiront à faire mesurer l’intensité : du 1er janvier au 30 juin 1877, la déchéance a été prononcée contre quinze compagnies ayant un capital actions de 47 millions de