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industriel que les trades-unions tendent à établir. Ces associations ont pour principe nécessaire l’égalité absolue des salaires pour tous les ouvriers. Elles ne peuvent établir aucune distinction, aucune hiérarchie entre leurs adhérens. Aucun ouvrier ne peut donc se flatter que, par son intelligence et sa bonne conduite, par une habileté supérieure ou une assiduité plus grande, il arrivera à se faire distinguer et à conquérir un salaire exceptionnel ; il ne peut davantage espérer qu’en travaillant plus longtemps et plus durement que les autres, en s’imposant des privations, il réunira le petit capital qui lui permettra de jeter un jour les bases d’un établissement. Tous doivent travailler de la même façon, le même nombre d’heures et pour le même prix : le niveau commun sous lequel tous doivent passer s’établit d’après les moins intelligens et les moins laborieux. On peut donc dire de ces associations funestes qu’elles décapitent le travail en refoulant violemment dans les rangs les sujets d’élite devant qui l’avenir s’ouvrirait, et en rendant stériles l’intelligence et la bonne conduite. Quant à la masse des ouvriers, s’ils savaient faire le compte des cotisations qu’ils ont à verser, des dépenses, des privations et des souffrances que les grèves leur imposent, ils reconnaîtraient aisément qu’ils font un marché de dupes en aliénant leur indépendance et leur libre arbitre.


II

La Fédération internationale du travail est, comme les trades-unions, une importation européenne. Il ne faut point confondre ses adhérens avec les socialistes proprement dits. Il existe en effet aux États-Unis un certain nombre d’associations qui ont fondé des établissemens et même des communes dont l’organisation se rapproche plus ou moins du phalanstère. Ces associations ont pour organes des journaux et des recueils dont le principal est le Socialiste américain : elles se proposent comme objet la réforme ou la transformation de la société actuelle ; elles ne touchent ni à la politique ni aux questions industrielles, et gardent le caractère de sectes philosophiques. C’est à ces associations pacifiques et inoffensives que s’applique exclusivement en Amérique la qualification de socialiste qui n’emporte avec elle aucune nuance de désapprobation. C’est sous le nom de communistes que les Américains désignent les comités, les orateurs ambulans et les journaux qui relèvent de la Fédération internationale du travail.

Cette dernière association, établie vers 1867, sous l’influence de Karl Marx, sur le modèle et comme une auxiliaire de l’Internationale européenne, a dû surtout son développement aux émigrans