Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

multipliaient dans les grandes villes : les ministres des différens cultes s’accordaient à signaler la sombre et silencieuse fermentation qui s’emparait de la population ouvrière et qui ne pouvait manquer de se traduire par des actes regrettables. La plupart des compagnies charbonnières de la Pensylvanie ayant réduit de 10 pour 100 le prix de la tâche, une grève éclata à la fin de l’automne et se prolongea pendant près de six mois. Les mineurs qui voulaient reprendre le travail étaient assaillis et maltraités ; quelques-uns même furent assassinés par des camarades que le sort avait désignés pour cette horrible mission : les magasins, les machines, les bâtimens d’exploitation de plusieurs compagnies furent livrés aux flammes. La force seule mit fin à ce régime de terreur, et le gouverneur de la Pensylvanie, M. Hartranft, jugea qu’un exemple terrible était nécessaire. Il refusa d’user de son droit de grâce pour mitiger les condamnations prononcées par les tribunaux, et onze émeutiers furent pendus le même jour. Le calme se rétablit aussitôt dans toute l’étendue des districts miniers ; mais ce calme, résultat de l’intimidation, n’existait qu’à la surface, et un sourd ressentiment couvait au fond des âmes des mineurs.

Malheureusement des influences mauvaises étaient là, toutes prêtes à s’emparer de ces esprits aigris et à leur faire oublier le respect des lois ; nous voulons parler des trades-unions ou associations par corps de métier, et de l’Internationale. La liberté d’association la plus étendue existe aux États-Unis ; les lois la reconnaissent, et les mœurs la favorisent. Politique, agriculture, œuvres de science ou de charité, propagation d’un amusement, tout est prétexte à association et à congrès. Si une association se constitue en empruntant les formes du carbonarisme ou de la franc-maçonnerie, en affectant des allures mystérieuses, en imposant le secret sur son but réel et sur ses délibérations, elle est assurée d’un succès rapide ; c’est à qui en fera partie : le courtier politique pour consolider son influence, le commerçant pour se créer des cliens, le vaniteux pour acquérir de l’importance et devenir un des dignitaires de la société. Dans un milieu aussi favorable, les associations de corps de métiers ont eu toute facilité pour s’organiser et se propager. Leur introduction en Amérique néanmoins ne date guère que de vingt-cinq ans : ce sont des ouvriers mécaniciens anglais qui en 1851, à la suite d’une grève demeurée mémorable, aimèrent mieux s’expatrier que se soumettre, et importèrent aux États-unis et en Australie les théories et l’organisation qui leur avaient si mal réussi dans leur pays. Ces sortes d’associations se sont répandues rapidement dans tous les états où l’industrie a pris quelque développement, et surtout dans les grandes villes : il n’est point de profession qui n’ait la sienne,