Pendant la lutte entre le nord et le sud, les opérations militaires ont eu pour théâtre exclusif les états qui s’étaient mis en révolte contre l’autorité fédérale : jamais il n’a été au pouvoir de ceux-ci de porter la guerre sur le territoire des états demeurés fidèles à l’Union. La prospérité matérielle de ces états n’a donc point paru atteinte par la guerre civile. Loin de là, les approvisionnemens de toute nature, vivres, vêtemens, chaussures, munitions, nécessaires aux immenses armées que le gouvernement fédéral avait mises sur pied, leur étaient achetés et libéralement payés. Les agriculteurs et les éleveurs de l’ouest, les maîtres de forge et les manufacturiers des états atlantiques ne pouvaient souhaiter un meilleur client que le gouvernement fédéral. Les primes considérables en argent que ce gouvernement et les gouvernemens locaux offraient aux enrôlés volontaires, en attirant sous les drapeaux la plupart des émigrans de nationalité allemande ou irlandaise, diminuaient la concurrence que les ouvriers nationaux pouvaient avoir à redouter de la part de l’émigration européenne, et contribuaient à élever le taux des salaires. Une autre cause, et non moins efficace, d’élévation des salaires résultait de chaque émission nouvelle de papier-monnaie. Le travail, comme les denrées de première nécessité, haussait de prix proportionnellement à la dépréciation constante des assignats américains. La position réelle de l’ouvrier américain ne s’en trouvait pas changée, puisque tout ce qui était nécessaire à la vie augmentait de prix en même temps que son travail ; mais des esprits peu familiers avec les lois économiques qui régissent les sociétés humaines ne s’attachaient qu’au taux nominal de leurs salaires sans tenir compte des conditions transitoires qui le portaient momentanément aussi haut.
Lorsque le rétablissement de la paix eut enlevé aux agriculteurs et aux manufacturiers du nord l’immense débouché que leur avaient offert les achats du gouvernement fédéral, et que les uns et les autres durent aller chercher au dehors les consommateurs que ne leur fournissaient plus les armées de la république, il fallut baisser les prix de vente, réduire les prix de revient et diminuer les salaires. Les ouvriers américains ne se rendirent pas compte que la diminution de tous les objets de première nécessité, pain, viande, vêtemens, combustible, atténuait et compensait pour eux la réduction opérée sur leurs salaires : ils ne s’arrêtèrent qu’au fait matériel de la réduction, et ils en conçurent une irritation profonde. Ils essayèrent d’opposer à la baisse graduelle des salaires