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qui invoquait comme preuve la tranquillité intérieure dont les États-Unis avaient joui jusqu’alors, l’illustre homme d’état répondait dans une de ses lettres : « vous aurez vos Manchester et vos Birmingham, et dans ces Manchester et ces Birmingham il arrivera sûrement que des centaines de milliers d’ouvriers se trouveront quelque jour sans ouvrage. C’est alors que vos institutions seront sérieusement mises à l’épreuve. Partout la souffrance rend l’ouvrier mécontent et impatient de la règle, et le dispose à écouter avidement les agitateurs qui viennent lui représenter comme une iniquité monstrueuse qu’un homme puisse avoir des millions, tandis qu’un autre homme ne peut avoir de quoi manger à sa faim… Il est de toute évidence que votre gouvernement ne sera jamais en état de retenir une majorité mécontente et aigrie par la souffrance. Chez vous, c’est la majorité qui est elle-même le gouvernement, et elle tient absolument à sa merci les riches, qui sont toujours en minorité. Il y aura, j’en ai peur, des spoliations. Ces spoliations ne feront qu’accroître la misère générale, et cette misère produira de nouvelles spoliations. Il n’y a rien pour vous arrêter sur cette pente. J’aperçois dans vos institutions des voiles pour pousser le navire en avant, mais point d’ancre de salut. »

Ces jours d’épreuve, que Macaulay entrevoyait dans un avenir encore lointain, seraient-ils arrivés pour les États-Unis ? Au milieu d’un calme apparent et d’une sécurité trompeuse, l’autorité de la loi s’est trouvée soudainement méconnue. De grandes villes sont tombées et sont demeurées, pendant plusieurs jours, au pouvoir de l’émeute triomphante : elles ont été désolées par le pillage et l’incendie ; des flots de sang ont coulé. Les autorités municipales, les gouvernemens locaux ont dû confesser leur impuissance à rétablir l’ordre ; le gouvernement fédéral lui-même n’y est parvenu que par l’emploi de toutes les forces militaires à sa disposition et la proclamation de la loi martiale. C’est là un spectacle absolument nouveau dans l’histoire des États-Unis, et il y a quelques semaines encore celui qui aurait prédit ces scènes honteuses et sanglantes aurait rencontré en Amérique et en Europe même une incrédulité absolue. Quelles sont donc les causes qui ont préparé et qui peuvent expliquer cette explosion soudaine ? Quels élémens inflammables étaient donc réunis pour qu’une seule étincelle ait suffi à allumer un si vaste incendie ? Quel a été le véritable caractère des faits dont sept ou huit des états les plus florissans ont été le théâtre ? Quelles impressions, enfin, ou fugitives ou durables, ces faits ont-ils laissées dans l’esprit du peuple américain ? Ce sont là les questions délicates que nous allons essayer d’éclaircir.