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celles de la troisième étaient en possession de Pinet. Ramain pensa qu’un surveillant les avait emportées pour faire une ronde dans le bâtiment de l’est, il dit au sous-brigadier Picon d’aller s’en assurer et de faire venir les sergens de ville au greffe. Picon ne fut pas long à revenir ; il avait l’air fort penaud : Les détenus se sont barricadés, les grilles sont closes, impossible d’entrer dans les sections. François, Ramain, Picon, suivis de quelques surveillans qui faisaient du zèle et riaient sous cape, s’élancèrent dans l’escalier. Au second et au troisième étage, on se heurta contre une infranchissable barrière de matelas. On courut au guichet central ; on y chercha vainement les clés des grilles ; on demanda la clé de la porte de secours, on ne la trouva pas davantage, elle était bien cachée, et seul Bourguignon aurait pu la découvrir. Ramain et François juraient à faire crouler les murs de la Grande-Roquette. On fit l’appel des surveillans : Pinet seul manquait : — Je le ferai fusiller, dit François.

Ramain essaya de parlementer ; il se campa dans la cour principale et, levant le nez vers les fenêtres du bâtiment de l’est, il criait : « Voyons, descendez donc, c’est des bêtises tout ça, on ne veut pas vous faire du mal. » Il en était pour ses frais de rhétorique ; nul ne lui répondait. Il reprenait : « Vive la France ! nous sommes tous frères ! Voyons, mes pauvres amis, descendez, c’est pour recevoir des vivres ! » Un soldat mit la tête à sa lucarne, appela le brigadier et lui fit un pied de nez. « Je les brûlerai vif, » dit Ramain en s’éloignant. Les otages placés en face, dans le bâtiment de l’ouest, à la quatrième section, avaient suivi cette scène des yeux et n’y avaient rien compris. Ramain rentra au greffe et dit : « Il n’y a pas moyen de les avoir ! » Il rencontra le regard de Ferré et ne fut point tranquille. Le délégué à la sûreté générale était fort irrité ; il ne le cacha point, et l’atticisme de ses expressions parut s’en ressentir. Il fit appeler Clovis Briant, le directeur de la Petite-Roquette, et lui dit : « Avez-vous préparé l’évacuation ? vous savez qu’elle doit s’opérer en trois détachemens, faites sortir vos hommes. » Clovis Briant retourna promptement à la prison, et Ferré dit à François : « Envoie-moi tous les soldats ; à défaut des curés, je les emmène. » Quatre-vingt-quinze soldats, extraits des chambrées du bâtiment de l’ouest, arrivèrent bientôt ; ils se massèrent dans la cour d’entrée. Lorsqu’ils franchirent le seuil de la prison, ils aperçurent un bataillon de fédérés rangé sur la place, ouvert en deux détachemens, prêts à les recevoir. À l’instant où ils passaient la porte, trois cents militaires, le sac au dos, sortaient de la Petite-Roquette. On mettait à exécution le projet de Delescluze ; on allait réunir à Belleville tous les soldats internés depuis le 18 mars, incarcérés depuis le 22 mai, et essayer de traiter en les offrant en échange de quelques