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permettaient ainsi aux détenus de se promener dans les couloirs. Une très forte grille fermait les sections à chaque extrémité et interdisait toute communication entre elles. En dehors des cellules, la deuxième et la troisième section comprennent une vaste chambre appelée le lit de camp, qui peut au besoin servir de dortoir à une trentaine de condamnés. On pénètre dans ces divisions par un large escalier ayant son point de départ non loin des bureaux du greffe, ou par l’escalier de secours, escalier en colimaçon qui prend naissance dans le premier chemin de ronde. Le rez-de-chaussée des bâtimens de l’est et de l’ouest est attribué aux détenus criminels qui y font métier de cordonniers, de menuisiers, de serruriers et de forgerons. Lorsque ces détenus sont en récréation dans la cour, la porte des ateliers est toujours close, et les outils doivent rester sur les établis.

On connaissait à la Grande-Roquette le sort des gendarmes et des autres otages qui avaient été extraits la veille sous prétexte d’être conduits à Belleville. La promesse de leur distribuer des vivres et de les mettre en liberté, qui peut-être les avait déterminés à suivre leurs assassins, les avait conduits à la fosse de la rue Haxo. Les sergens de ville, les soldats, tassés dans la seconde section, étaient farouches. Ces vieux soldats, ces victorieux de Crimée et d’Italie, se révoltaient à l’idée d’être saignés comme des porcs ou assommés comme des bœufs. La colère est parfois bonne conseillère ; leur irritation, doublée par l’angoisse, exaspérée par la faim, car le pain manquait depuis la veille, surexcitée par l’horreur que le forfait commis leur inspirait, leur irritation était au comble. Un sentiment de révolte les réveillait enfin de leur longue torpeur ; ils comprenaient que nulle soumission ne les protégerait, qu’ils n’étaient plus qu’un bétail humain réservé à l’égorgement, et que, si une dernière chance de salut leur restait encore, ils ne la trouveraient que dans leur désespoir. Ils se méfiaient des soldats détenus avec eux ; comme les gens menacés d’un grand péril, ils voyaient des ennemis partout, à voix basse et entre eux, ils s’étaient concertés : « Il faut nous barricader et nous défendre ; il vaut mieux se faire tuer ici que d’être écharpé par la populace. » Une seule inquiétude les poignait : qu’allaient faire les surveillans ? Obéiraient-ils aux ordres de cette troupe de loups aux abois ? Se souviendraient-ils qu’eux aussi ils avaient porté l’épaulette et combattu pour l’honneur de ce pays que les galériens de la politique s’efforçaient de déshonorer sous les yeux mêmes de l’ennemi victorieux ?

Les détenus criminels, les condamnés, réunis dans la cour principale, étaient dans l’anxiété : ils avaient peur. Des obus mal dirigés par la batterie du Père-Lachaise, qui cherchait à atteindre la gare d’Orléans, avaient éclaté sur le toit de la maison. La distribution