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l’éternel silence. Quand on fit la levée des corps, le lundi 29 mai, on constata qu’un des cadavres avait reçu soixante-neuf coups de feu.

Lorsque l’on fut certain que tous étaient bien morts, on se félicita d’avoir « purgé la terre » de tant de Versaillais ; les femmes furent embrassées ; on porta la cantinière en triomphe. On alla dans les cabarets se rafraîchir un peu en parlant de ses hauts faits ; une jeune femme disait : « J’ai essayé d’arracher la langue d’un des curés, mais je n’ai pas pu ; » un artilleur colossal, sorte d’hercule forain, qui, sans armes, avait frappé les otages à coups de poing, disait en montrant sa main enflée : « J’ai tant tapé dessus que j’en ai la patte toute bleue. » Le lendemain, quelques fédérés prévoyans vinrent en famille dépouiller les morts ; puis ils jetèrent les cinquante-deux otages et le fédéré dans le trou du caveau qui était une fosse d’aisances.

Le valeureux Stanley, alors à Ouganda, aux confins de l’Afrique orientale, avait enfin réussi à retrouver Livingstone, lorsque, le 14 février 1872, il reçut les journaux d’Europe qui lui apprirent à la fois l’existence, la chute, les crimes et le châtiment de la commune. Il a noté son impression : « O France ! ô Français ! pareille chose est inconnue même au centre de l’Afrique ! »


VII. — LA RÉVOLTE DES OTAGES.

Pendant que l’armée insurrectionnelle se transformait naturellement en bande d’assassins, les troupes françaises, marchant toujours à découvert contre des hommes embusqués derrière de hautes barricades, continuaient lentement, mais invinciblement, leur mouvement stratégique. Dans la soirée du 26 mai, elles étaient maîtresses de la place de la Bastille, de la rue de Reuilly, du faubourg Saint-Antoine et de la place de la barrière du trône. L’aile droite, après avoir été obligée de vaincre une résistance acharnée, avait enfin réussi à s’emparer de ces positions très importantes qui, lui ouvrant le boulevard Davout et le boulevard Mortier, permettaient d’attaquer à revers les hauteurs de Belleville. L’aile gauche forçant le passage du boulevard du temple, occupant la rotonde de la Villette, s’établissait boulevard Lenoir et sur les rives du canal Saint-Martin jusqu’à la porte de l’Ourcq ; elle menaçait ainsi directement les Buttes-Chaumont. Si lente qu’elle ait été, la bataille avait été bien conduite ; les deux extrémités de l’arc se rejoignaient pour former autour des débris de la révolte un cercle infranchissable.

La commune râlait ; le samedi 27 mai, elle eut une dernière réunion rue Haxo, no 145, dans une petite maison qui avait servi d’état-major au génie auxiliaire des fédérés. Ils n’étaient pas nombreux les triomphateurs du 18 mars, les héros de la tuerie de la