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protéger et, s’adressant à Hippolyte Parent, il lui criait : « Allons l les hommes du comité central, prouvez que vous n’êtes pas des assassins, ne laissez pas déshonorer la commune, sauvez ce peuple de lui-même, ou tout est fini, ou nous ne sommes plus que des forçats. » Vaines paroles ; nul ne les écoutait. Des fédérés lui répondirent : « Va donc, avocat ! Ces gens-là appartiennent à la justice du peuple, nous avons le droit d’en faire ce que nous voulons ; ils sont à nous ! » Hippolyte Parent se taisait en ricanant, Varlin eut un geste de fureur et voulut recommencer à parler ; quelques-uns de ses amis l’emmenèrent de force. Les otages, maintenus, serrés par la foule, étaient acculés dans un espace carré, assez large, qu’une faible barrière en bois séparant d’un vaste jardin où l’on avait commencé une construction interrompue par la guerre. Contre une muraille élevée d’une douzaine de pieds, une cave inachevée formait une sorte de fosse ; un mur très bas, de 50 centimètres environ, était le soubassement d’une maison future et servait de ligne de démarcation entre le grand jardin et l’étroit terrain où se trouvait le caveau, percé d’une simple ouverture.

Malgré les cris de mort et les menaces qui avaient escorté les otages depuis la rue de Puébla jusqu’à la cité de Vincennes, Il y eut un moment, très court, d’hésitation ; on avait appliqué le maréchal des logis Geanty contre la muraille d’une des maisons ; il se tenait immobile, les bras croisés, impassible sous les pierres et la boue que lui jetaient les femmes[1]. On entendit armer quelques fusils ; on cria : « Ne tirez pas ! ne lirez pas ! la maison est pleine de munitions ! » Il y eut un recul instinctif de la foule ; on eût dit qu’elle était reprise d’indécision et que nul n’osait donner le signal. Un homme grimpa sur une charrette chargée de tonneaux, — poudre ou vin, — qui se trouvait à l’entrée du secteur. Il lut un papier qu’il tenait en main et parla. On applaudit. C’est alors que le boucher Victor Bénot, colonel des gardes de Bergeret, incendiaire des Tuileries, se précipita hors d’une maison, en criant : « À mort ! » Une poussée formidable se fit, la barrière tomba et les otages, d’un seul mouvement, furent entraînés dans le terrain qui précédait le petit mur inachevé. La cantinière qui les avait guidés était descendue de cheval, elle se jeta vers eux ; les femmes excellent aux actes de cruauté, qu’elles prennent pour des actes de courage. Elle porta le premier coup, et tous les hommes qui étaient là devinrent des assassins. Geanty était toujours en tête, — à son rang. — Il entr’ouvrit sa tunique et présenta sa poitrine ; un prêtre âgé se plaça devant lui et reçut le coup qui lui était destiné ; le prêtre tomba, et l’on vit Geanty toujours

  1. Il présentait à cet instant, dit le récit qui me sert de guide, l’image d’un homme aussi brave que juste. »