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volonté de ne pas combattre, avaient été les plus sûrs auxiliaires des armées envahissantes ; en les frappant, ils crurent non-seulement obéir à la loi, mais venger la patrie. En réalité, ce qu’ils punirent avec acharnement, ce fut moins l’année meurtrière du 18 mars que l’armée qui, pendant le siège, s’était systématiquement tenue hors du devoir et du danger. C’est là surtout ce qui donna aux derniers efforts de la lutte un caractère d’implacable brutalité. La révolte avait été sans pitié, la répression fut sans merci comme dans les batailles qui se prolongent au-delà des forces humaines, l’enivrement de la tuerie avait saisi tout le monde ; vainqueurs et vaincus n’eurent point de pardon les uns pour les autres. Les lois de sang que la commune avait promulguées et appliquées retombaient sur elle ; à son tour, elle allait mourir égorgée.

L’illusion a-t-elle été sincère chez les chefs de l’insurrection ; ont-ils cru que, répudiés par le pays tout entier, attaqués par l’armée française, menacés par les troupes allemandes, qui auraient forcé l’entrée de Paris si le gouvernement légal ne se fût enfin décidé à agir[1], ont-ils cru que leur cause sans drapeau, sans principe et sans nom, pourrait triompher et n’était pas condamnée à la mort violente ? On pourrait le penser en se reportant à certains documens de l’époque. Le 24 mai, le jour même où l’assassinat des otages brisait toute chance de conciliation, on afficha dans Paris une proclamation que les membres du comité central avaient rédigée la veille. On y lisait, avec stupéfaction, les conditions proposées de puissance à puissance : « 1° L’assemblée nationale, dont le rôle est terminé, doit se dissoudre ; 2° la commune se dissoudra également ; 4° l’armée, dite régulière, quittera Paris et devra s’en éloigner d’au moins 25 kilomètres. » On croit rêver. Si quelques hommes, dont le cerveau était absolument perverti par le rôle étrange qu’ils avaient arraché aux événemens, ont pu s’imaginer que la victoire définitive leur resterait, il n’en était pas de même des spectateurs consternés de cette descente de la Courtille révolutionnaire. Nul, à Paris, ne crut à la durée de ce pouvoir matérialiste jusqu’à l’abjection, et parmi ceux qui eurent le singulier courage de l’exercer, personne ne conservait d’espérance à la date du 25 mai. Le plus simple raisonnement, à défaut de sagesse ou de patriotisme, exigeait que l’on mît bas les armes et que, pour une cause d’autant plus perdue qu’elle n’était pas née viable, on ne sacrifiât pas des milliers d’existences. C’est là ce que commandait l’humanité ; mais ce fut la passion qui l’emporta, et tout fut perdu.

  1. « La commune… retarde l’évacuation du territoire par les Allemands et vous expose à une nouvelle attaque de leur part, qu’ils se déclarent prêts à exécuter sans merci, si nous ne venons pas nous-mêmes comprimer l’insurrection. » Proclamation du gouvernement de la république française aux Parisiens, 8 mai 1871.