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soixante-douze maisons enflammées, sept cent cinquante-quatre autres attaquées par l’incendie ; la caserne d’Orsay, les Tuileries, le Palais-Royal, la Cour des comptes et ses archives, le palais de la Légion d’honneur, la Caisse des dépôts et consignations, le Palais de Justice, la Préfecture de police, les Gobelins, l’Hôtel de Ville, l’Administration de l’octroi, l’Assistance publique, le Théâtre-Lyrique, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le théâtre des Délassemens-Comiques, la bibliothèque du Louvre, le Ministère des finances, tous en feu et s’écroulant, faisaient de Paris un horrible brasier. Plus d’un Parisien, contemplant ce spectacle, a pleuré et s’est demandé, sans oser se répondre, s’il appartenait réellement à la race et à la patrie des hommes qui commettaient ce crime.

Les troupes françaises, enivrées à leur tour et presque affolées, se ruaient à la bataille avec une sorte de rage. Pendant les deux premiers jours de la lutte, le 22 et le 23 mai, elles avaient été très calmes, suivant passivement leurs officiers qui payaient d’exemple, et livrant avec abnégation ce dur combat des rues, antipathique et plus pénible que nul autre. La vue des premiers incendies les remplirent de colère ; la résistance des insurgés les exaspéra, et il ne fut plus possible de les modérer. Dans le cœur des soldats, les mauvais souvenirs s’étaient aigris. Ces hommes, qui avaient tant souffert, qui avaient inutilement dépensé tant de vaillance, qui avaient supporté la captivité, la misère, la faim ; la maladie, les longues étapes sur les routes inhospitalières, la honte d’une défaite imméritée, et qui, pour prix de leurs humbles sacrifices, n’avaient récolté que des injures, devinrent les champions de leur cause personnelle. Ceux dont ils avaient à réduire la révolte, ceux qui incendiaient nos monumens, renversaient nos trophées militaires, assassinaient les plus honnêtes gens du pays, qu’avaient-ils donc fait durant la guerre ? Ils s’étaient amplement gobergés au milieu des tonneaux de vin et d’eau-de-vie, ils avaient péroré dans les cabarets, neutralisé la défense par leurs émeutes sacrilèges, ne s’étaient point portés au-devant de l’ennemi, et avaient misérablement gardé toutes leurs forces pour essayer d’en accabler l’armée et le gouvernement de la France. Ces soldats, que l’on avait accusés de lâcheté, que l’on avait si lestement traités de capitulards, comprenaient instinctivement qu’ils se trouvaient en présence des hommes dont l’indiscipline, les insupportables fanfaronnades, la